Digital Services Act (DSA) et Digital Market Act (DMA) : les réglements européens face aux appetits des GAFAMS
12 avril 2024

Le DMA a été publié au journal officiel de l’Union européenne le 12 octobre 2022 et est entré en application le 2 mai 2023. La Commission européenne a dû au cours de l’année passée transposer ces nouvelles règles en actes juridiques.  

Depuis le 7 mars 2024 les plateformes considérées comme « contrôleurs d’accès » doivent se conformer aux nouvelles dispositions sous peine de sanctions.

Pour le DSA, publié au journal officiel de l’Union européenne le 27 octobre 2022 l’application s’est faite en deux temps : 

  • 23 août 2023 : uniquement pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche.
  • 17 février 2024 : pour les autres plateformes.

C’est depuis cette dernière date que les Etats membres doivent officialiser la mise en place leurs « coordinateurs pour les services numériques » auprès de la Commission. En France il s’agit de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM).

La France, qui a inscrit la nomination de l’ARCOM dans le projet de loi visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) » va devoir attendre le feu vert de la Commission européenne, qui lui a refusé par deux fois l’homologation de son texte aux motifs qu’il allait à l’encontre de certaines dispositions du règlement, avant d’habiliter l’ARCOM. 

Pour répondre aux injonctions de la Commission européenne, le texte revu, issu de    la Commission mixte paritaire a été voté par le Sénat et vient d’être adopté par l’Assemblée Nationale. A l’issue de cette succession de procédures, le projet de loi sera à nouveau soumis à la Commission européenne qui devra le valider. Il faut espérer qu’après avoir essuyé deux refus successifs la France aura su aligner son projet de loi sur le règlement européen et que l’Arcom pourra alors revendiquer officiellement le statut de « coordinateur des services numériques » pour la France.

La Commission disposera de 45 jours ouvrables une fois saisie, pour décider de d’entériner ou pas, les organisations proposées en tant que contrôleurs d’accès et d’informer les Etats membres de sa décision 

Nous rappelons que ces deux textes sacralisent de nouvelles obligations pour les Etats membres et les plateformes qui y exercent leurs activités.  L’Institut a repris dans un article précédent en lien ci-dessous, les acteurs visés par ces législations. 

Pour en savoir plus : DSA/DMA – Qui fait quoi dans l’application – octobre 2023

C’est une très belle initiative européenne, une grande première mondiale dans ce domaine qui marque la volonté de l’Union à réguler les GAFAMS et à rétablir une équité concurrentielle.

Cependant, ne soyons pas naïfs, les géants du numérique tentent et tenteront sans doute toujours à contourner les règlementations comme ils nous y ont habitué jusqu’à présent 

Concrètement, les six entreprises soumises au DMA (Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft) pour les 22 services qu’ils exploitent, avait jusqu’au 7 mars 2024 pour transmettre à la Commission européenne leurs rapports détaillant les mesures prises pour se mettre en conformité avec le texte.  TikTok a indiqué vouloir faciliter la portabilité des données, à l’aide notamment d’une nouvelle API pour les développeurs. Un formulaire sera mis à la disposition de ses utilisateurs professionnels afin de leur permettre de partager leurs commentaires.  Dans un billet de blog revenant sur les annonces passées et les fonctionnalités existantes Google s’estime déjà conforme au DMA. L’entreprise a annoncé permettre aux développeurs d’applications distribuées via le Play Store d’orienter leurs utilisateurs vers des « offres externes », en dehors de l’application. 

Il y a quelques semaines, X (anciennement Twitter), Bytedance et Booking ont notifié à la Commission le fait que leurs services pourraient atteindre les seuils fixés par le DMA. 

Il est évident que les annonces à destination des développeurs et autres utilisateurs professionnels se sont multipliées ces dernières semaines 

Dans un récent entretien, la commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager a d’ailleurs indiqué qu’elle serait très attentive à la façon dont Apple respecterait le DMA dans le cadre des autorisations de l’ouverture de ses boutiques alternatives qu’elle considère comme une priorité pour réguler les relations de force entre les différents acteurs du numérique

Pour rappel, les entreprises peuvent également être soumises au DMA si elles exploitent un service dit « de plateforme centrale » (core platform), tel que, entre autres, les moteurs de recherche, les magasins d’applications, les services de messagerie, et remplissent les critères suivants : avoir 45 millions d’utilisateurs finaux actifs mensuels et 10 000 utilisateurs professionnels annuels, avoir un impact significatif et une position stable sur le marché. 

A noter que le secrétaire d’État auprès du ministère de l’Économie allemand, Sven Giegold, a soumis mi-mars une proposition formelle sur la manière dont l’Allemagne aimerait voir financer le DMA : « La Commission a besoin de ressources supplémentaires pour son application » a-t-il aussi estimé. Il s’inquiète en effet, du fait que la Commission risque de manquer de moyens pour faire appliquer efficacement le DMA. Il est vrai que ce règlement ne prévoit pas de mécanisme de financement, contrairement au DSA, qui impose aux très grandes plateformes d’acquitter des frais de supervision pour financer l’application du texte. Sven Giegold appelle à s’en inspirer, et espère que ce mécanisme prévu au DSA pourra être intégré au rapport de Mario Draghi et Enrico Letta à paraître concernant la compétitivité et l’avenir du marché unique.

En l’état actuel, la Commission ne dispose que de 85 personnes pour travailler sur la mise en application du DMA en collaboration avec les autorités de la concurrence des Etats membres, et la difficulté de faire face à la masse de tâches qui l’attendent est très préoccupante, d’autant que des contentieux commencent déjà à apparaître.

Par exemple, La Commission européenne réclame à Meta un complément d’informations sur sa politique de publicité dans le cadre du Digital Services Act.  Elle a annoncé avoir officiellement envoyé à Meta (maison mère de Facebook et Instagram) une requête formelle d’information (« RFI ») concernant l’offre d’abonnement aux options sans publicité pour ces deux applications.  Plus précisément, le géant du Net est sommé de fournir des informations supplémentaires sur les mesures qu’il a prises pour se conformer à ses obligations sur les pratiques publicitaires de ses sites web, les systèmes de recommandations et les évaluations des risques liés à cette option d’abonnement.  Il est important de souligner que la Commission exploite ainsi une disposition incluse dans le DSA pour se pencher sur le modèle « ciblage ou paiement » (Pay or OK) mis en place par le groupe il y a quelques mois. « Conformément à l’article 74, paragraphe 2, du DSA, la Commission peut infliger des amendes pour des informations incorrectes, incomplètes ou trompeuses fournies en réponse à une demande de renseignements », signale la Commission.

Pour rappel, déjà en octobre 2023, la Commission avait réclamé à Meta de fournir des informations sur les mesures mises en place par ses soins pour arrêter la diffusion de contenus illicites en ligne. Cette précédente demande d’information concernait aussi bien des questions telles que le contenu terroriste, la gestion des risques liés au discours civique et aux processus électoraux, que la protection des mineurs.  

Meta avait jusqu’au 15 mars pour fournir les informations demandées. Sur la base de l’évaluation de ces réponses, la Commission décidera d’ouvrir formellement ou non une procédure dans le cadre de la DSA.

Depuis le 18 décembre 2023, la Commission a également ouvert une enquête contre le réseau X (ex twitter) qui est poursuivi pour manquement aux obligations du DSA en termes de modération des contenus. Il s’agit de son absence de lutte contre les « fake news » et les contenus illicites.

Le réseau social chinois TikTok de son côté fait l’objet depuis le 19 février 2024 d’une enquête concernant la protection des mineurs et la transparence des publicités qu’elle affiche. 

Tout cela va dans le bon sens et la Commission semble déterminée à appliquer très scrupuleusement ces deux règlements mais en aura-t-elle la capacité ? Il est à regretter une faiblesse du DSA qui réside notamment dans le fait qu’il ne fixe aucun délai pour clôturer ces procédures… qui peuvent donc s’éterniser.

Les plateformes Méta et Tik-Tock ont d’ailleurs annoncé dès le mois de février 2024 qu’elles intentaient une action en justice concernant la redevance de surveillance que les entreprises visées par le DSA doivent payer.

La Commission est tout à fait habilitée à leur imposer cette redevance et les entreprises en cause ont parfaitement le droit de faire appel de la décision prise. Elles contestent notamment le mode de calcul pour l’évaluation du montant des frais qui leur est réclamé.

Méta et Tik-Tok précisent « nous soutenons les objectifs du DSA et avons déjà introduit un certain nombre de mesures pour aider à respecter nos obligations règlementaires, mais nous ne sommes pas d’accord avec la méthodologie utilisée pour calculer les frais »

Les politiques d’opacité de fonctionnement sont toujours d’actualité pour les GAFAMS qui vont bien entendu tout mettre en œuvre en multipliant les contestations pour retarder leur inclusion dans la liste des sociétés soumises au DMA. C’est la raison pour laquelle l’objectif commun du DMA et du DSA reste la lutte contre la concurrence souvent déloyale des plateformes et l’établissement d’une concurrence équitable dans le secteur numérique européen. 

Laissons le temps à ces deux règlements de prendre leurs marques, de voir si les changements qu’ils induisent vont se faire concrètement et rapidement sentir sans oublier de surveiller que les obligations qu’ils imposent soient bien respectées par les GAFAMs.  Il faudra notamment rester attentif aux délais de traitement des recours que certains enclenchent afin d’éviter que ces géants du numérique ne puissent pas jouer trop longtemps de leur indépendance vis-à-vis des législations européennes.

Jean-Marie Cavada

Jean-Marie Cavada 

Président iDFrights

Colette Bouckaert

Colette Bouckaert

Secrétaire Générale iDFrights

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