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Le règlement sur le DMA (Digital Market Act) a été mis en application progressivement depuis le 2 mai 2023 en France. Le DSA (Digital Services Act) a lui aussi été adopté et sera mis en application à partir de la fin du mois d’août 2023.
Pour rappel les règlements sont des actes législatifs qui s’appliquent, dès leur entrée en vigueur, de manière automatique et uniforme dans tous les pays de l’UE sans devoir être transposés dans la législation nationale.
Le DMA devrait permettre de mieux encadrer les activités économiques des grandes plateformes, le DSA de son côté modernise une partie de la directive 2000 sur le commerce électronique et vise à réguler les contenus haineux, pédopornographiques, terroristes et aux produits illicites contrefaits ou dangereux proposés en ligne.
Ces deux textes prévoient, qu’un coordinateur des services numériques, autorité indépendante doit être mise en place dans chaque Etat membre. En France, l’Arcom s’est vue confier ce poste. A ce titre, en cas de non-respect du DSA et du DMA, elle pourrait être amenée à prononcer des astreintes et des sanctions mais dans le respect des procédures et dans un cadre très précis.
La proposition d’adaptation française du DSA va donc devoir maintenant, comme l’impose la règlementation européenne, notifier à la Commission son projet dans la mesure où il s’agit d’un texte sur les produits et les services de la Société de l’information, laquelle pourra formuler un avis officiel. La Commission aura, à l’issue d’une période de statu quo de 3 mois qui sera déclenchée en vertu des dispositions de la directive sur la transparence du marché unique, la possibilité ainsi que les autres États membres de réagir au projet notifié.
Que disent précisément les dispositions des règlements
Il est à noter qu’en ce qui concerne les violations de la législation et pour répondre au respect des nouvelles obligations de cet instrument juridique contraignant, tant la Commission que les autorités nationales disposent d’une gamme de pouvoirs allant des injonctions aux amendes et aux sanctions périodiques, en fonction de la gravité de l’infraction en cause.
De plus, les violations des obligations spécifiques aux VLOP (Very Large Online Plateform) et VLOSE (moteurs de recherche en ligne) feront l’objet d’une procédure de surveillance renforcée ultérieure, dans le cadre de laquelle elles seront tenues de définir une voie de conformité spécifique soumise à la vérification et à la supervision de la Commission.
À titre de mesure de dernier recours, dans des circonstances spécifiques où il n’est pas remédié à l’infraction en dépit de ces pouvoirs d’exécution et que la plateforme mise en cause produit un préjudice grave menaçant la vie ou la sécurité des personnes, l’Autorité indépendante désignée par le pays membre où se tient le siège social de la plateforme impliquée, pourra de sa propre initiative ou à la demande de la Commission (en cas d’infractions constatées par la Commission), demander à la juridiction nationale de rendre une ordonnance bloquant totalement la fourniture du service.
Position de l’Institut
En l’état, le projet de loi français et même si l’on peut tout à fait en comprendre la nécessité, a ajouté des dispositions qui ne figurent pas dans les règlements des DSA et DMA : c’est là que le bât blesse car il n’y a aucune certitude que la proposition française recueille l’aval de la Commission et des autres Etats membres. On sait en effet, que toutes ces législations contraignantes européennes ne voient le jour qu’après de longues négociations et tractations, et la marge de manœuvre pour parvenir à un point d’équilibre très fragile souvent. Il résulte de ce principe, qu’il est très incertain de vouloir imposer via un projet de loi nationale, l’élargissement d’une disposition que l’on n’est pas parvenu à imposer dans les discussions.
Dans ces conditions, lorsque le Ministre français du numérique a déclaré que « grâce à ces nouvelles mesures, l’Autorité administrative française (Arcom) pourra bloquer les plateformes telles que Twitter en France si elles ne respectent pas la loi » nous ne partageons pas totalement l’enthousiasme de ses annonces, d’autant plus que les dispositions de ces deux règlements stipulent que seule la Commission européenne peut décider de prendre de telles mesures à l’encontre des grandes plateformes.
L’Institut n’est pas seul à émettre quelques réserves sur le fait que l’Arcom puisse bloquer Twitter ou les autres réseaux internationaux de sa propre initiative, et la Commission européenne à laquelle cette question a été posée de façon informelle très récemment a répondu « qu’elle ne pouvait pas prendre position sur le fond tant que le projet de loi français ne lui avait pas été notifié » mais confirme que d’une manière générale, c’est un fait que « les violations des obligations de la législation sur les services numériques par les plateformes désignées comme très grandes plateformes en ligne (VLOP) ou très grands moteurs de recherche en ligne (VLOSE) doivent faire l’objet d’enquêtes préalables par la Commission, soit sur une base exclusive (en ce qui concerne les obligations spécifiques aux VLOP), soit sur une position de primauté (en ce qui concerne les autres obligations applicables à toutes les plateformes). Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure d’enquête que les décisions édictées par la Commission doivent être appliquées par les autorités compétentes du pays d’origine de la plateforme en Europe (dans la mesure où la Commission ne décide pas de prendre le relais).
En conséquence, pour une application cohérente de la législation, il va falloir passer nécessairement par la mise en place des synergies entre les régulateurs de chaque Etat membre et la Commission pour parvenir à un blocage quel qu’il soit.
La position française risque donc d’être contraire au DSA, puisque conformément à la directive sur le commerce électronique, seul le cadre juridique des sanctions selon les dispositions du principe du pays d’origine sera applicable.
Twitter est évidemment sur la liste des VLOP, et ce sera donc à la Commission en liaison avec le pays d’origine de Twitter en Europe, c’est-à-dire l’Irlande, de prendre des mesures. Mais, car il y a un « mais » Twitter étant basé à Dublin via la « twitter International Unlimited Company » on a du mal à imaginer que la France puisse bloquer directement Twitter en application du droit européen.
Elle ne pourra donc procéder qu’au blocage des plateformes qui ont un siège européen en France. Inutile de dire que dans ces conditions, le pouvoir prendre des mesures à l’encontre des GAFAM s’éloigne car aucune d’entre elles n’a son siège social en France. Il suffit pour s’en persuader de regarder la liste publiée par la Commission européenne il y a une quinzaine de jours.
VLOPs :
- Alibaba Aliexepress – Amazon Store – Apple AppStore – Booking.com – Facebook – Google Maps – Google Play – Google Shopping – Instragram – Linkedln – Pinterest – Snapchat – Tik-Tok – Twitter – Wikipédia – You Tube – Zalando
VLOSEs (moteurs de recherche en ligne) : Bing – Recherche Google
CONCLUSION :
Le projet de loi, s’il devait être notifié tel qu’il se présente aujourd’hui à la Commission pourrait avoir de fortes chances d’être retoqué. Il est fort à parier que la France retardera le plus possible cette échéance. Le texte sera lui, discuté à la l’Assemblée nationale prochainement et il sera sans surprise adopté. Il ne reste qu’à espérer que la proposition française ne subisse pas le même sort que la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (Loi Avia) dont le contenu avait été remis en cause par la Commission et annulé à 95% par le Conseil Constitutionnel.
Lorsque l’on parle de l’application d’un règlement européen, et afin d’assurer un niveau de protection équivalent entre tous les Etats membres, il est toujours plus prudent de réfléchir à une approche la plus concertée et uniformisée possible. Il faut éviter d’étendre des dispositions au-delà de ce qui est prévu dans le texte européen, et c’est un mal français que de vouloir aller plus loin et ajouter aux règlementations européennes des normes nationales plus exigeantes qui n’auraient pas été préalablement négociées avec les Institutions européennes. C’est prendre le risque surtout de causer des distorsions de concurrence entre les Etats membres, au détriment des consommateurs français et de nos entreprises.
Jean-Marie Cavada
Président de l’iDFrights
Colette Bouckaert
Secrétaire Générale de l’iDFrights