Jean-Marie Cavada: « le climat politique se durcit contre Google »
14 janvier 2022
Jean-Marie Cavada: « le climat politique se durcit contre Google »

14 janvier 2022

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Depuis plus de deux ans, les entreprises qui diffusent des contenus produits par des médias ont l’obligation de rémunérer ces-derniers au titre des « droits voisins ». Dans les faits, bien peu de plateformes se sont soumises à la règle. Ce mercredi 12 janvier, un rapport parlementaire pointe « l’opacité » des accords proposées par les Gafam. « Le nombre d’accords de rémunération au titre du droit voisin est tout à fait marginal et l’intention du législateur n’a pas été respectée », relève la mission d’information.

Un constat d’impuissance qui ne surprend pas l’ancien député européen, Jean-Marie Cavada. Marqué par son propre parcours de journaliste, l’ancien patron de Radio France se souvient d’avoir déjà croisé le fer, à Bruxelles, sur la question des droits voisins. En 2015, il avait a été désigné co-rapporteur du projet de loi sur le « copyright ». Nommé en octobre président de la société des Droits Voisins de la Presse (DVP), le centriste remet les gants et appelle tous les acteurs de la presse à le rejoindre dans cette nouvelle organisation.

Challenges – Les négociations sur les droits voisins n’ont-elles pas avancé depuis deux ans ?

Jean-Marie Cavada – Le président de la République l’a rappelé mardi lors de ses vœux à la presse: la loi n’a toujours pas trouvé d’application concrète. Les revenus directs et indirects tirés de la diffusion d’un article doivent faire l’objet d’une négociation « de bonne foi » entre les éditeurs de presse et les plateformes. Par conséquent, les éléments qui permettent de calculer les profits réalisés par Google et Meta (Facebook) à partir des contenus de presse doivent être portés à la connaissance de tous. Est-ce le cas? Pour l’instant, les plateformes refusent de négocier le montant de ces rémunérations en toute transparence.

A plusieurs reprises, Google a essayé de contourner la loi en proposant des accords commerciaux. Un premier accord-cadre a été signé en janvier 2021 avec l’Alliance de la presse d’information générale [ndlr : Le Monde, Le Figaro, Libération avaient déjà conclu des contrats de licence individuels avant cet accord]. A l’automne, Facebook a trouvé un engagement similaire avec plusieurs titres de presse, dont l’AFP. Mais entendons-nous bien, ces accords confidentiels ne peuvent se substituer à l’application des droits voisins… Car ils ne répondent pas à toutes les exigences de la loi. C’est ce qu’a rappelé l’Autorité de la concurrence, l’été dernier, en condamnant Google à une amende de 500 millions d’euros pour n’avoir pas négocié « de bonne foi ». En l’occurrence, Google avait lié la rémunération des droits voisins à la réalisation d’autres services commerciaux.

« Les plateformes appliquent une version tronquée de la loi »
Pourquoi les éditeurs de presse ont-ils accepté de négocier, si ce n’était pas dans leur intérêt?

C’est leur responsabilité, je ne la critique pas. Nous connaissons tous l’état de la presse. En 10 ans, la moitié des revenus publicitaires sont passés dans le digital et près de 70% de ces revenus sont aujourd’hui captés par ces plateformes. Ces accords commerciaux permettent à certains groupes de presse d’arrondir leurs fins de mois dans une période difficile, ce qui peut tout à fait s’entendre… Mais notre association se doit de défendre la loi, toute la loi, et rien que la loi. Pas une version unilatérale et tronquée par les plateformes. A cet égard, les engagements produits par Google au mois de décembre ne constituent pas obéissance à la loi.

Que va changer la société des droits voisins que vous présidez?

Ce que nous apportons, c’est une machine collective ; un organisme qui fera en sorte que les médias n’aient plus besoin de négocier dans leur coin. Jusqu’à présent, cette stratégie individuelle a surtout affaibli l’autorité de la presse. Notre but, c’est de reprendre les négociations pour que tous les éditeurs puissent toucher leur juste part lorsque leurs contenus sont difusés sur une plateforme. Nous avons donc monté un organisme de gestion collective (OGC), qui sera aidé par deux contrats de prestation: l’un avec la SACEM et l’autre, avec le Centre Français du droit de copie (CFC).

Dans les prochaines semaines, la société des droits voisins va ouvrir ses négociations avec l’ensemble des plateformes. Notre dernier conseil d’administration, qui s’est tenu ce mardi 11 janvier, a permis de mettre au point le calendrier et de définir un cadre de négociation. Le syndicat de la presse magazine (SPEM) nous a déjà rejoint, ainsi que le syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), la presse d’information spécialisée (FNPIS), les agences de presse (FNAP), et le GESTE, qui inclue les acteurs privés et publics des radios et télévisions.

A terme, l’objectif sera de rassembler un maximum. Car ce face à face avec les plateformes peut encore durer longtemps. Mais, nous l’avons tous senti, le climat politique se durcit contre Google. Et l’engagement du président de la République à compléter les textes français et européens, si besoin, va dans la bonne direction.

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