Un tournant pour la protection des mineurs dans le système numérique I Par Laure Boutron-Marmion
12 février 2025
Par Laure Boutron-Marmion
Avocate – Fondatrice d’Algos Victima – Membre du Conseil d’orientation stratégique de iDFrights

L’omniprésence de l’image de nos enfants sur la toile 

On estime en moyenne qu’un enfant apparaît sur 1300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans à travers ses comptes propres, ceux de ses parents ou ceux de ses proches (1).

Or, l’exposition des mineurs sur internet peut avoir des retentissements multiples à plus ou moins long terme et générer de nombreuses conséquences préjudiciables pour le mineur.

Ces conséquences néfastes se matérialisent d’abord par l’utilisation détournée de ces images par les réseaux pédopornographiques. On estime en effet que 50% des images se retrouvant sur les sites pédopornographiques ont été publiées par les parents eux-mêmes sur leurs réseaux sociaux (2).

Cette surexposition de l’image des enfants en ligne et plus spécifiquement des adolescents, est aussi le terreau du cyberharcèlement de sorte qu’il devenait urgent pour le législateur français de se pencher sur l’opportunité de réguler le traitement de cette image et en définir les contours. 

 

La loi n°2024-120 du 19 février 2024 au rendez-vous de l’impératif de protection ?

Sous la pression de ce bain numérique d’images incontrôlé, le législateur français a adopté la loi n°2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants consistant en l’intégration de plusieurs dispositions dans le Code Civil et un insert dans le Code pénal.

Concernant les nouvelles dispositions faisant leur entrée dans le Code civil, l’on retiendra que l’article 372-1 comporte désormais un principe clair suivant lequel « les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur dans le respect du droit à la vie privée mentionnée à l’article 9 ». 

Il y est ajouté que « les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image selon son âge et son degré de maturité ». 

En outre, le législateur attribue au juge aux affaires familiales le pouvoir d’interdire à l’un des parents de diffuser tout contenu sans l’autorisation de l’autre en cas de désaccord entre eux et enfin la possibilité pour ceux qui auront recueilli l’enfant de saisir le juge aux fins de se faire déléguer l’exercice du droit à l’image du mineur.  

L’ajout au sein du Code pénal concerne cette nouvelle donne pour les parents d’avoir à associer leurs enfants dans les décisions à prendre sur leur image.

Ladite loi opère en effet un renvoi à l’article 372-1 du Code civil pour l’interprétation du consentement du mineur dans le cadre de l’infraction prévue à l’article 226-1 du code pénal qui réprime notamment la fixation, l’enregistrement ou la transmission sans son consentement de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé par une peine d’emprisonnement de 1 an et de 45.000 euros d’amende (3).

 

L’État Français meilleur élève de la classe européenne ?  

La France semble être aujourd’hui le seul État membre à avoir introduit un droit à l’image du mineur dans sa législation en tant que tel, quand nos voisins européens n’en sont qu’à des initiatives diverses de sensibilisation au sujet.

Si ces démarches alertent incontestablement l’opinion publique telle que l’initiative Share with care (4) (« Partagez avec prudence ») diffusée en juillet 2023 par Deutsche Telekom, principale société de télécommunication allemande, elles n’ont évidemment pas la même portée, aussi symbolique que concrète, que ce qu’emporte la promulgation d’une loi.

Reste que chez nos voisins, certains enfants mineurs ont déjà intenté des actions contre leurs parents pour avoir posté des photographies d’eux sur les réseaux sociaux.

Ainsi, en Autriche en septembre 2016, une jeune femme de 18 ans a déposé plainte contre ses parents : elle leur reprochait d’avoir violé son droit à la vie privée et à l’image en publiant près de 500 photographies d’elle sur Facebook alors qu’elle était encore mineure.

Par ailleurs, en Italie en septembre 2016, le tribunal civil de Rome a ordonné à une mère de retirer les photographies qu’elle avait publiées de son fils sur les réseaux sociaux et l’a condamnée à une amende suspensive de 10.000 € si elle publiait à nouveau des clichés de son fils.

Les États voisins de la France sont donc tout aussi préoccupés par l’impératif de protection du droit à l’image de mineurs, ils semblent même faire paradoxalement plus de place à l’enfant à l’initiative de la protection de son image.

Force est de constater en effet que la loi du 19 février 2024 oublie totalement la possibilité pour le mineur lui-même de garantir son droit à l’image. 

Que se passe-t-il lorsque les désirs des parents entrent en conflit avec l’intérêt de l’enfant ? 

L’on s’aperçoit, à la lecture des dispositions qui ont fait leur entrée dans le Code civil, qu’aucune d’entre elles ne laisse au mineur de réelles prérogatives pour être acteur de la protection de son droit à l’image. 

 

L’infantisme en toile de fond, dépossédant le mineur de l’exercice de son droit à l’image 

Très paradoxalement et parce que le législateur français ne déroge pas à son habituelle tendance à l’infantisme, ce nouvel arsenal juridique, s’il a le mérite de marquer un tournant dans la prise de conscience de l’impératif de protection de l’image des mineurs sur la toile, ne donne aucun outil concret à l’intéressé pour qu’il soit maître de son droit à l’image.

Le législateur fait tellement reposer l’exercice du droit à l’image du mineur sur ses parents ou sur des autorités tierces qu’il transparaît comme une personne qu’il faut protéger, y compris contre lui-même (5).

Or, si comme l’indiquait le député Bruno Studer, rapporteur de cette loi, il s’agit d’envoyer un signal aux enfants pour leur indiquer « que leurs parents ne disposent pas d’un droit absolu sur leur image », encore faut-il leur donner des moyens propres, voire procéduraux pour agir.

Une partie de la doctrine (6) militait pourtant pour octroyer la possibilité à l’enfant d’initier une procédure judiciaire dans le cas où il estimerait que ses parents portent atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale lorsque ces parents publient des photographies de lui sur internet.

Imposer la protection conjointe du droit à l’image des enfants par les parents ne prémunit que du cas d’un unique parent défaillant qui serait alors freiné dans ses initiatives malveillantes de publication par l’autre.

Que peut faire le mineur lorsque les deux parents s’accordent sur une publication d’images à laquelle le mineur souhaiterait s’opposer ? 

Il s’agit pourtant bien d’une réalité et les scandales récents de parents abusant de l’image de leur enfant sur le net démontrent que des parents agissent avec une particulière négligence dans la diffusion d’images et vidéos de leurs enfants sur la toile. 

Il en est ainsi par exemple de la recrudescence de vidéos de bébés sur le pot ou enfants dans le bain ou encore la mode du cheese challenge consistant à lancer une tranche de fromage à fondre sur sa progéniture. 

Rappelons que 4 adolescents sur 10 trouvent que leurs parents les exposent trop sur internet (7).

La loi est malheureusement taisante sur le point de savoir quels outils seront à la disposition du mineur qui réclamerait des comptes vis-à-vis d’un parent abusif dans la diffusion d’images de celui-ci.

Tel était déjà l’écueil d’une loi jumelle portant sur l’exploitation commerciale de l’image de l’enfant de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, laquelle a été adoptée le 19 octobre 2020 (8) . 

Au-delà de protéger strictement l’image de l’enfant et de se prémunir contre les utilisations détournées qui pourraient en être faites, le législateur avait souhaité protéger l’enfant contre l’utilisation abusive de son image par les parents eux-mêmes aux fins d’en tirer un profit financier.

Une telle loi mérite elle aussi d’être saluée puisqu’elle garantit des droits considérables au bénéfice des enfants en érigeant des obligations pesant sur les parents telles que celles de devoir recueillir un agrément auprès de l’administration et de déposer une partie des revenus générés par l’utilisation de l’image de leur enfant sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à la majorité des mineurs ou son émancipation. A défaut, l’administration peut saisir le juge des référés et des sanctions sont prévues.

Toutefois, là encore, que se passe-t-il si l’administration ne saisit pas le juge et que c’est le mineur qui, s’apercevant du manque de scrupules de ses parents, entend obtenir par tous moyens le séquestre des sommes qui lui revient ? 

Cette loi, comme celle de 2024, demeure taisante à ce sujet et son adoption très récente ne permet pas encore de tirer quelconque enseignement des effets que lui confèrera la pratique judiciaire. 

Force est de constater qu’à trop vouloir ignorer le mineur en tant que sujet de droit, l’on en vient à vider de sa substance une partie du droit qui lui est octroyé. 

 

Vers une réflexion sur l’autonomie procédurale de l’enfant 

Seul le renforcement de l’autonomie procédurale de l’enfant permettra de garantir pleinement son droit à l’image, que ce soit dans le cadre de son exploitation commerciale régie par la loi de 2020 que dans le cadre de son exploitation « affective » par la loi de 2024. 

Cette autonomie procédurale est encouragée par de plus en plus d’organisations internationales telles que le Conseil de l’Europe ou encore le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies. 

Plusieurs États étrangers ont élaboré des mécanismes de représentation singuliers et constructifs dont la France devrait s’inspirer. 

Au Canada comme en Irlande par exemple, les tribunaux ont la possibilité de désigner un « guardian » qui va être à l’écoute du mineur et défendre son point de vue tout au long des procédures familiales qui le concernent, le rendant partie à la procédure de fait, à défaut de pouvoir l’être en droit.  

Dans sa loi, le législateur français ne prévoit que la possibilité pour le mineur d’être invité aux débats sur la gestion du traitement de sa propre image et à la condition qu’il soit d’âge et de maturité suffisante, ajoutant ainsi au déficit d’autonomie procédurale, la nébuleuse notion du discernement rendant plus qu’évanescente sa participation réelle. 

En clair, associer l’enfant selon son âge et son degré de maturité sans donner les contours objectifs de ces éléments revient à laisser toute latitude aux parents sur la possibilité de faire réellement participer leur enfant.

 

En conclusion, quel avenir pour cette avancée législative ? 

Seuls les contentieux à venir seront de nature à nous éclairer sur la façon dont les juridictions françaises s’empareront du texte en question. 

Des parents pourraient-ils se voir retirer l’autorité parentale parce qu’ils auraient manifestement violé le droit à l’image de leur enfant en diffusant des vidéos ou photographies de celui-ci sur les réseaux sociaux de nature à porter atteinte à leur dignité ou à l’intégrité morale de celui-ci ?

La loi ne le dit pas expressément et les articles du Code civil relatifs à la délégation de l’autorité parentale ou encore son retrait n’ont pas été amendés en ce sens. 

2024 marquera en tout état de cause un tournant dans la protection du droit à l’image de nos enfants en droit français. 

L’on regrettera simplement que cette loi n’ait pas donné de véritable clef au mineur pour qu’il puisse protéger lui-même son droit à l’image même si cela résulte certainement d’une problématique plus générale de notre droit français et ses difficultés à faire plus de place au mineur, dépourvu de capacité d’ester en justice, dans les décisions et procédures qui le concernent. 

D’après ses rédacteurs, ce texte a été pensé comme une loi de pédagogie avant d’être une loi répressive ou sanctionnatrice (9)

Sa visée première serait donc de responsabiliser les parents, et de les faire prendre conscience des risques.

Est-ce suffisant ? Rien n’est moins sur. La fonction normative est pleinement efficace lorsqu’elle donne un cadre clair et prévoit à ce titre les outils propres à faire cesser le trouble, ce dont la loi susvisée manque manifestement à ce stade. 

En effet, si la loi du 19 février 2024 pose un principe fort de protection de l’image du mineur, peu de gardes fous sont réellement mis en place en cas de violation de ce principe par les parents. 

Par conséquent, si cette loi doit évidemment être saluée et que la France fait figure de pionnier en la matière en Europe, le législateur ne devra pas s’en contenter et devra revoir sa copie pour faire cesser ce fléau de l’hyper-exposition des mineurs par l’image dans l’environnement numérique, fléau dont on ne connait pas encore aujourd’hui l’étendue des dégâts.

Laure Boutron Marmion

Laure Boutron-Marmion

Avocate– Fondatrice d’Algos Victima 

Membre du Conseil d’orientation stratégique de iDFrights

(1) Exposé des motifs – Proposition de loi enregistrée le 19 janvier 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants.

(2) Edition Francis LEFEBVRE « La diffusion d’images d’enfants est désormais expressément encadrée par la loi », publié le 21/03/2024, Julie LABASSE. Rappelé à la tribune de l’Assemblée par M. Bruno Studer, rapporteur ; Rapports du National Center for Missing and Exploited Children. Depuis 2020, Europol et Interpol alertent sur la prévalence des contenus autoproduits par les jeunes ou par leur entourage dans les échanges pédocriminels (Cofrade, « Rapport conjoint alternatif. Sixième examen de la République française par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies », 2022, p. 24.).

(3) Circulaire du 23 mai 2024 – Disponible en ligne.

(4) Initiative dans article Courrier international https://www.courrierinternational.com/video/video-publier-des-images-de-ses-enfants-est-dangereux-alerte-ce-spot-glacant

(5) La Semaine Juridique Edition Générale n° 14, 08avril 2024, doctr. 463 , La « fast » législation : le  droit à l’ image des  enfants  mineurs, Etude par Grégoire Loiseau professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; M. Lamarche, Respect du  droit à l’ image des  enfants  : fonction pédagogique de la loi pour les parents « Narcisse » : Dr. famille 2024, alerte 45.

(6) https://www.actu-juridique.fr/civil/personnes-famille/loi-du-19-fevrier-2024-sur-le-droit-des-enfants-au-respect-de-leur-image-lillustration-parfaite-dun-texte-incoherent-inutile-et-incomplet/ ; G. Kessler, « La divulgation par les parents de la vie privée de leurs enfants sur les réseaux sociaux : quel encadrement pour la pratique du sharenting ? », AJ fam. 2021, p. 292. ; V. not. B. Mallevaey, « Pour un renouveau de l’accès de l’enfant mineur au juge aux affaires familiales », in R. Laulier et B. Mallevaey (dir.), Vulnérabilités et accès au juge, 2023, IFJD, p. 113.

(7) Microsoft Teens say parents share too much about them online” 2019.

(8) Loi n°2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne

(9) Proposition de loi n° 758 enregistrée le 19 janvier 2023 à la présidence de l’Assemblée nationale, exposé des motifs.

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