Lettre ouverte à destination de Monsieur le Président de la République par Benjamin Martin-Tardivat I 13 juin 2023
13 juin 2023

Paris le 13 juin 2023

Lettre ouverte à destination de :

Monsieur le Président de la République

Monsieur le ministre de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique

Monsieur le Ministre délégué auprès du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications

 

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le ministre de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique,

Monsieur le Ministre délégué auprès du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications,

Le projet de portefeuille d’identité numérique européen va être prochainement discuté en réunions interinstitutionnelles (trilogues) à Bruxelles. Les négociations sur ce projet ambitieux et fondamental, qui permettra aux citoyens de s’identifier et de s’authentifier en ligne via un portefeuille d’identité numérique unique, restent pourtant méconnues de nos concitoyens.

Comme vous l’avez clairement souligné lors de la présidence française du Conseil de l’UE en 2022, les principes et règles gouvernant ce portefeuille se doivent de respecter les plus hautes exigences en matière de sécurité et de protection des données personnelles.

Votre raisonnement, comme le semble-t-il celui de la Commission Européenne, fondé sur une approche par les droits de l’homme, est justifié et pleinement soutenu par notre Institut.

Cela étant, nos concitoyens sont historiquement, pour le moins sceptiques vis-à-vis de systèmes centralisés regroupant l’ensemble de leurs informations personnelles, perçus, à juste titre ou non, comme des moyens de surveillance et de fichage.

Aussi, voulions-nous, tout d’abord, attirer votre attention sur les risques « informationnels » : une communication simpliste ou erronée sur ce sujet pourrait amener nos concitoyens à se détourner de ce portefeuille et les engager à adopter, volontairement ou sous l’incitation de grandes plateformes, des systèmes alternatifs décentralisés tels que l’identité auto-souveraine.

La souveraineté établie de notre Etat, celle, naissante, de l’Union Européenne, ne s’en relèveraient pas.

Notre Institut plaide pour une approche fondée sur la transparence, le principe dit « d’explicabilité » et la participation active de chacun.

Or, nous le constatons, la transparence est, sur ce sujet, très discutable. A titre d’exemple, nous ne disposons que de très peu d’informations publiques, claires et précises sur les consortiums qui ont été retenus pour étudier, développer et tester les infrastructures techniques (cryptographiques ou autres) du portefeuille. Par ailleurs, nous n’aurons probablement que peu d’informations sur les échanges en trilogue à Bruxelles…

Les institutions européennes et françaises, les consortiums et leurs partenaires doivent divulguer clairement les membres de leurs équipes, leurs financements, leurs méthodologies, leurs plans d’action et leurs études, afin de garantir la confiance et l’adhésion du public.

À cet égard, les citoyens doivent être en mesure de comprendre comment fonctionnera le portefeuille d’identité numérique et comment leurs données personnelles seront utilisées et protégées. Les explications doivent être claires, concises et accessibles à tous, même à ceux qui ne sont pas experts en technologies de l’information.

Enfin, la participation active des citoyens et de la société civile dans la conception (dès l’origine) et la mise en œuvre du portefeuille d’identité numérique doit être encouragée de la façon la plus large possible. Commentaires et suggestions devront être pris en compte tout au long du processus afin d’assurer que le portefeuille d’identité numérique soit bien conçu pour répondre aux besoins et aux préoccupations des citoyens européens.

Nous savons qu’il est important à vos yeux que le numérique soit inclusif. 

Ce portefeuille ne doit pas être une fracture supplémentaire dans notre société.

Monsieur le Président, Messieurs les Ministres, par cette lettre ouverte, nous vous demandons la plus grande vigilance et votre action, sans tarder.

Vous devez être les initiateurs d’une discussion nécessaire, sans influence partisane et dans le respect des principes de notre système juridique dont la protection des données à caractère personnel, à savoir : légalité, licéité et légitimité ; consentement ; transparence ; finalité ; loyauté ; proportionnalité ; minimisation ; qualité ; responsabilité et sécurité.

Un large débat public et démocratique, tant au niveau européen qu’au niveau national est nécessaire. Et ce débat se doit de prendre racine au plus près de chacun : une discussion participative, menée avec votre soutien, par des acteurs de la société civile comme notre Institut ne peut être que bénéfique. L’implication dynamique de chacun (et donc notre responsabilisation), nous sommes sûrs, ne pourra que renouveler la confiance en nos institutions et le regain d’intérêt dont elles ont tant besoin dans ces temps incertains.

Il nous faut relever les défis de la protection de la vie privée et des données personnelles, droits fondamentaux qui – de par leur transversalité – favorisent le plein exercice d’autres droits comme le droit à la liberté, à l’égalité, à l’honneur et à la dignité humaine à l’ère numérique.

La France, pays des droits de l’homme, ne peut se dérober devant les défis qu’impose, à notre société et ses enfants, le numérique qui est une chance et non un danger.

Monsieur le Président,

Monsieur le ministre de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique,

Monsieur le Ministre délégué auprès du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, 

Je vous prie de croire en l’expression de mes sentiments respectueux.

Benjamin Martin Tardivat
Benjamin Martin-Tardivat

Avocat spécialisé dans le droit numérique
Conseiller, responsable de la souveraineté et de la protection des données de iDFrights

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