Monsieur le Vice-Président,
Au nom de l’Institut des droits fondamentaux numériques, permettez-moi tout d’abord de me réjouir de votre candidature au poste de Vice-président en charge de la Stratégie industrielle et de la Prospérité. Votre connaissance du fonctionnement des Institutions européennes et des relations internationales seront des atouts précieux pour aider à l’élaboration d’une politique industrielle européenne solide et lutter contre les risques d’un décrochage économique européen.
Comme vous le savez, le rapport de Monsieur Mario Draghi souligne et identifie ces risques, tout en offrant des pistes de réflexion pour les combattre et les surmonter. Les suggestions contenues dans ce rapport se fondent sur l’analyse des réalisations de l’Union européenne en soutien d’une politique industrielle européenne compétitive et souveraine tout en mettant en évidence les lacunes et les défis à surmonter. Parmi les exemples soulignés comme représentant une avancée majeure, le « Rapport Draghi » identifie notamment la mise en place du Brevet européen à effet unitaire (Brevet unitaire) et de la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB).
Député européen de 2004 à 2019, j’ai eu le privilège de suivre et participer aux discussions qui ont conduit à l’adoption des textes à l’origine de cette réforme devenue opérationnelle l’année dernière et dont le taux de pénétration auprès des PME démontre son attractivité. Notre souci en tant que députés était d’assurer que les entreprises européennes les plus innovantes puissent bénéficier d’un titre de propriété industrielle de haute qualité, délivré de façon simple et centralisée qui les protège de façon efficace et uniforme sur le territoire le plus vaste possible de l’Union européenne. Après plus d’un demi-siècle de tentatives avortées, cette réalisation, qui s’inscrivait dans la logique du « mieux légiférer », répondait également aux besoins des acteurs industriels européens par sa simplicité, son accessibilité et le haut niveau de sécurité juridique garanti par le rôle de la JUB. L’accès à un instrument simple pour la promotion et protection des entreprises les plus innovantes semblait déjà un préalable nécessaire à la mise en place future d’une politique industrielle européenne dont vous aurez bientôt la charge.
La préservation de cet acquis est actuellement au centre des préoccupations des Etats membres dans le cadre de leurs échanges au sein du groupe de travail « Propriété intellectuelle » du Conseil sur le ‘Paquet Brevet’ présenté par la Commission européenne en avril 2023. Au-delà de la complexité des questions techniques qui les ont conduits à demander à la Commission des clarifications sur l’économie générale des propositions présentées, il en est une qui transcende toutes les discussions : ces propositions s’inspirent-elles de l’approche suivie dans le cadre de la réforme du Brevet unitaire et offrent-elles, comme cette dernière, toutes les garanties de qualité, de simplicité et de sécurité juridique ? Au vu des discussions actuelles qui ont lieu au sein du groupe de travail, on pourrait en douter. Sur trois des dossiers composant le paquet brevet, deux – celui relatif au certificat complémentaire de protection (CCP) et celui relatif aux brevets essentiels aux normes (BEN) – se heurtent à différentes questions dont celles-ci. Plus de 250 questions techniques ont été adressées par les Etats membres à la Commission sur le BEN.
Quant au CCP, les discussions se focalisent justement sur la façon optimale de ne pas impacter négativement les avancées de la réforme sur le brevet unitaire et de préserver tout particulièrement le rôle central de la JUB pour garantir la sécurité juridique nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur et à une concurrence loyale entre les entreprises qui y opèrent.
Comme vous le savez certainement, j’ai toujours eu à cœur de défendre la propriété intellectuelle sous toutes ses formes. Je suis convaincu que dans le cadre de la stratégie industrielle européenne que vous allez devoir mettre en œuvre la propriété intellectuelle. Elle demeurera un outil central des initiatives que vous entendrez porter. Les avancées passées, telle que la réforme du Brevet unitaire, qui permettent aujourd’hui aux entreprises de bénéficier des outils appropriés pour faire face à la concurrence mondiale doivent être préservées et renforcées. Quant aux initiatives actuelles et futures, elles devraient être évaluées à la lumière des principes du « mieux légiférer » qui imposent une identification claire et non dogmatique des problèmes à résoudre afin d’identifier les meilleures réponses à y apporter.
Les auditions des Commissaires européens se rapprochant, je reste à votre entière disposition pour échanger avec vos équipes sur les questions de propriété intellectuelle en général et sur les initiatives en cours en particulier. Nous pourrions bien entendu envisager en temps voulu un rendez-vous avec mes experts en la matière si votre agenda vous le permettait.
Vous remerciant par avance de l’intérêt que vous porterez à mon et dans l’attente de vous lire, je vous prie de croire, Monsieur le Vice-Président, à l’expression de ma très haute considération.
Jean-Marie Cavada,
Président de l’iDFrights