Média Freedom Act : La liberté de la presse à l’épreuve de la régulation européenne et de la technologie ! Par Colette Bouckaert et Jean-Marie Cavada
16 mai 2023

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Le MFA est un projet d’harmonisation des règles qui s’appliquent aux journalistes et aux médias d’informations. Ce texte a été annoncé comme une réponse aux dérives que chacun a pu constater en Europe de l’Est concernant les médias.

Ce qui est paradoxal c’est qu’il vise à faire progresser le niveau de protection là où il y a un déficit et il est vrai, à une nécessité de changer les choses pour les journalistes et les médias indépendants. Malheureusement, en vérité « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » et c’est donc la France et l’ensemble des Etats membres de l’UE qui offrent des garanties supérieures au texte proposé par la Commission qui risquent de devoir se mettre en conformité avec la recette de « l’omelette bruxelloise ».

Il en résulte concrètement que si le texte ne change pas d’orientation, la loi de 1881 en France devra être réécrite de façon substantielle.

À titre d’exemple, la dissociation opérée par le projet de règlement entre responsabilité éditoriale et responsabilité juridique nie à la fois l’existence du directeur de publication, responsable de plein Droit, du contenu de la publication, et le régime de responsabilité en cas d’infraction de presse.

 L’article 6 de la proposition de règlement, dont le but est d’élever les garanties de pluralisme et d’indépendance éditoriale, ne vise que les médias fournissant des contenus d’actualité (« providing news and current affairs content »). Or, la loi française sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 prévoit une responsabilité civile et pénale du directeur de publication en tant qu’auteur principal des crimes et délits commis par la voie de la presse, à l’exclusion de toute responsabilité pénale des personnes morales (art. 43.1 de la loi du 29 juillet 1881 : « Les dispositions de l’article 121-2 du code pénal ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions des articles 42 ou 43 de la présente loi sont applicables »). Ce principe a été repris en matière audiovisuelle par les articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.

Il en résulte qu’en droit français, il n’existe qu’un statut unique de responsabilité, quelle que soit la nature de la publication. Les publications de contenus d’actualité comme les autres sont soumis aux mêmes règles et c’est là une des grandes forces de la loi de 1881 : qu’il s’agisse d’une publication de contenus pour enfants ou d’un quotidien, le régime de responsabilité est le même.

En droit européen, il faut souligner que ce principe de responsabilité pénale du directeur de publication a été considéré comme conforme à la convention de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 24 sept. 2013, Belpietro c/ Italie, § 58 : annexe 2 ; CEDH, 30 mars 2004, Radio France  c/France , § 24 : annexe 3)

Il est crucial de maintenir cette architecture intacte, au risque de la voir s’effondrer comme la flèche de Notre Dame après l’incendie.

Autre lacune de ce projet de règlement européen… Il semble ignorer les évolutions ou révolutions technologiques en cours. Comment peut-on faire l’impasse sur la disruption technologique amenée par les algorithmes et l’intelligence artificielle générative ?

Comment un texte qui vise à garantir aux citoyens européens un droit à une information non « truquée » peut-il faire l’économie des questions fondamentales soulevées par l’essor exponentiel des IA génératives de textes, d’images, de sons et très prochainement de vidéos ?

Le projet de règlement est muet à cet égard, comme il l’est sur la production d’informations dans ce contexte et l’avenir du métier de journaliste.

Le journaliste est une personne physique qui effectue une succession de tâches qui s’apparentent à un raisonnement. Il n’invente pas les informations qui seraient les plus probables. Il se sert de son expérience humaine pour générer l’information qui lui semble la plus sensée. Le journaliste s’appuie sur des références. 

L’IA à l’inverse nous propose une information basée sur des statistiques et des probabilités plutôt que sur un raisonnement. Une IA ne peut se concevoir sans une vraie compréhension d’un contexte, sans un sens critique des faits exposés, et cela ne peut se faire que sous le contrôle d’une intelligence d’origine humaine.

À ce titre, nous militons, avec mon Institut, pour que le Parlement européen se saisisse de ces questions et amende le texte. Il est inadmissible qu’un lecteur européen ne puisse pas savoir si un article a été généré par un journaliste ou un robot. En cela la distinction est fondamentale car l’essence du journalisme trouve ses racines dans la recherche de sources fiables et d’une information de qualité alors qu’une IA ne cherche que la ressemblance plausible avec la réalité…

Avec le déploiement rapide de ces intelligences artificielles génératives, nous ne sommes pas à l’abri d’effets collatéraux néfastes pour nos démocraties dans la mesure où cet outil technologique d’entraîner selon les données qui seront agrégées une multiplication des « deepfakes » puisqu’elle ne saura ni détecter ni analyser l’information juste de l’information malveillante.

Jean-Marie Cavada

Jean-Marie Cavada

Président de l’iDFrights

Colette Bouckaert

Colette Bouckaert

Secrétaire Générale de l’iDFrights

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