iDFrights a réalisé une synthèse des programmes des différentes listes de candidats aux élections européennes, en se concentrant sur celles dont les estimations de votes dépassent les 5%, seuil nécessaire pour envoyer des eurodéputés à Bruxelles. Dans cette analyse nous nous sommes particulièrement attachés à deux chapitres clés de ces programmes : le fonctionnement des institutions européennes et les positions concernant les nouvelles technologies et les médias. Notre objectif était d’examiner les thèmes phares abordés par chaque liste dans ces domaines, afin de mieux comprendre leurs orientations et leurs priorités.
L’Institut s’engage à assurer un suivi rigoureux des programmes proposés par les différents partis lors de ces élections. Notre objectif sera de s’assurer que les propositions que l’Institut a identifiées dans l’analyse comme étant conformes à ses objectifs seront bien reprises dans les débats parlementaires. Pour ce faire, nous attacherons une attention particulière aux travaux des commissions dédiées et notamment celles des affaires juridiques, du marché intérieur et de la culture mais également aux décisions qui seront prises lors des votes en plénière.
Jean-Marie Cavada
Président iDFrights
Colette Bouckaert
Secrétaire générale iDFrights
Partie 1 – Les propositions sur le fonctionnement des institutions de l’UE :
Le Rassemblement National (RN)
💡 Primauté du droit Européen
Le RN se propose de mettre fin au principe de primauté du droit européen. Cette tentation n’est pas nouvelle et certains Etats membres ont déjà essayé par le passé d’imposer cette disposition. Celle-ci consiste à vouloir considérer qu’en cas de conflit entre un aspect du droit de l’UE et celui d’un Etat membre (la France dans le cas qui nous intéresse) c’est le droit national qui doit primer.
C’est aujourd’hui le contraire. Cette primauté du droit européen sur le droit national qui s’est inscrite au fil du temps grâce à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE, s’explique par le fait que si un Etat membre devait se prévaloir de son droit sur celui du droit européen, aucune mise en œuvre des politiques européennes ne serait possible.
🔎 Une telle proposition aboutirait à un affaiblissement des Institutions européennes. Elle sera très difficile à mettre en œuvre car elle nécessiterait une révision des traités.
💡 Initiative législative aux Etats Membres
Le RN propose de donner aux Etats membres au sein du Conseil le pouvoir « d’initiative législative », c’est-à-dire de retirer à la Commission européenne ses prérogatives au profit du Conseil qui réunit les Etats membres.
🔎 Une telle proposition aboutirait dans les faits à la disparition de la Commission européenne et donc à faire de l’Union comme l’indique la revue « Contexte » une organisation intergouvernementale classique. Disposition très difficile à mettre en œuvre sauf à réviser les traités.
Renaissance (EPR)
💡 Alléger la charge administrative Européenne
Renaissance propose d’instaurer une règle : « 1 texte adopté, 1 texte supprimé » pour les normes et une réduction de la charge administrative européenne.
Cette règle existe déjà, c’est le « Better Regulation » mis en place pendant la législature 2014/2019, et la Commission européenne a repris ce concept en 2021 dans son programme. Son application a permis effectivement de réduire la charge administrative européenne.
🔎 Aucune innovation dans cette mesure qui existe déjà et qu’il faut en revanche continuer à soutenir car elle est tout à fait réalisable.
💡 Instauration de listes transnationales aux élections européennes
C’est encore un rêve loin de devenir réalité. En 2022, le Parlement européen a voté la mise en place d’un collège transnational, avec l’élection d’un groupe de 28 eurodéputés de nationalités différentes à partir du vote de l’ensemble des citoyens européens. Cette proposition qui devait requérir l’accord à l’unanimité des 27 Etats Membres a été rejetée.
🔎 Cette proposition nécessiterait par ailleurs une révision des traités.
💡 Mise en place de la majorité qualifiée
Cette disposition reste un vieux débat européen. L’article 16-3 du traité sur l’UE dispose que le « Conseil statue à la majorité qualifiée sauf dans les cas où les traités le prévoient autrement » L’objectif de cette proposition permettrait de contourner la difficulté du vote à l’unanimité qui nécessite de recueillir l’accord de tous les Etats membres pour un vote et donc de pouvoir ainsi bloquer un texte législatif simplement avec le véto d’un seul Etat membre. La complexité de cette proposition tient au fait que pour être adoptée elle requiert l’unanimité des Etats membres.
🔎 Cette proposition nécessiterait en tout état de cause une révision des traités.
Le Parti Socialiste – Place Publique
💡 Initiative Legislative – Vote à la majorité qualifiée
L’initiative législative figure au programme du RN et celle du vote à la majorité qualifiée dans le programme de la liste Renaissance. Elles appellent donc les mêmes observations et les mêmes conclusions : sans révision des traités, rien ne sera possible.
💡 Désignatation de la Présidence de la Commission Européenne à l’initiative du Parlement en codécision avec le Conseil
Depuis 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les gouvernements des Etats membres proposent une candidate ou un candidat en tenant compte du résultat des élections européennes. Le Parlement européen doit valider cette proposition. Si le candidat n’est pas élu par le vote de la majorité des eurodéputés. Le Conseil est tenu de revoir son choix. Il est peu probable que le Conseil accepte de partager ses prérogatives avec le Parlement.
🔎 Cette proposition sera très difficile à mettre en oeuvre.
💡 Révision de l’article 7 du traité de l’UE sanctionnant les infractions des Etats Membres
L’article 7 permet de sanctionner un Etat de l’Union qui ne respecte pas ses valeurs fondamentales. La procédure qui y est décrite, permet d’activer le mécanisme de sanctions. Cela peut en théorie conduire à la suspension des droits de vote d’un Etat membre au Conseil de l’UE. L’article a été utilisé pour la première fois à l’encontre de la Pologne le 20 décembre 2017, à l’initiative de la Commission européenne et une seconde fois à l’encontre de la Hongrie le 12 septembre 2018 par deux tiers des eurodéputés qui ont voté en faveur du déclenchement de la procédure. Le déclenchement de ces deux procédures n’a pour l’instant mené à aucune sanction et n’ont même pas atteint le stade des mesures préventives.
🔎 Les étapes de cette procédure n’étant pas assorties de délais fixés par les traités et son aboutissement étant conditionné à un vote à l’unanimité moins une voix (celle du pays concerné) au Conseil européen, n’a jamais été menée à son terme. Il sera donc très difficile de revenir sur la mise en œuvre de cette procédure, sauf à réviser les traités.
💡 Imposer des clauses miroirs aux importations pour éviter des situations de concurrence déloyale
L’idée qui est plutôt bonne est d’imposer aux pays tiers dans le cadre de négociations d’accords commerciaux, les mêmes normes que celles exigées au sein de l’UE. La non-réciprocité de l’exigence des normes pour les produits importés accentuant la concurrence déloyale.
🔎 C’est le Conseil qui donne mandat à la Commission européenne pour négocier ces accords commerciaux. Mais le ralliement à cette proposition est loin d’être consensuelle au niveau européen. Elle sera donc difficile à mettre en œuvre.
Les Républicains (LR / LDR)
💡 Primauté du droit Européen
Cette disposition est reprise dans le programme du Rassemblement National. La position des Républicains est plus nuancée puisqu’elle parle « d’écarter un acte de l’UE ou une jurisprudence de la Cour de Justice qui ne respecterait pas les limites de la compétence attribuée à l’Union par les traités. »
Le Conseil d’Etat a réaffirmé dans une décision du 15 octobre 2021 a ainsi rappelé que dans l’état actuel du droit, seul un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France peut permettre d’écarter l’application d’une disposition du droit de l’Union.
🔎 Cette proposition n’est donc pas impossible, mais la marge de manœuvre est très étroite et il sera donc très difficile de parvenir à la mettre en œuvre.
💡 Alléger la charge administrative dans l’Union Européenne
Cette disposition figure aussi dans le programme de Renaissance, mais dans la mesure où l’initiative législative appartient à la Commission européenne, elle est la seule à pouvoir agir, même si comme nous le disions plus haut, elle a déjà engagé un processus d’abrogation d’un certain nombre de normes superflus.
🔎 Cette proposition reste donc tout à fait possible à soutenir au cours de la prochaine législature.
La France Insoumise (LFI)
💡 L’ encadrement du Lobbying Européen
La création d’une autorité éthique indépendante vient d’être actée. Elle va établir des règles communes à l’ensemble des Institutions, mais ne disposera d’aucun pouvoir d’enquêtes ou de sanctions faute de consensus entre elles.
Le registre de transparence, répertorie l’ensemble des entités qui souhaitent mener des activités de lobbying auprès des institutions européennes et permet au public de surveiller les activités des groupes d’intérêts. Il a été créé en 2011 pour le Parlement et la Commission, et en 2021 pour le Conseil de l’UE. Il n’y a donc aucune valeur ajoutée à cette proposition.
🔎 Régi par un accord tripartite (Parlement, Commission, Conseil) il s’avère donc très difficile d’engager quelque modification que ce soit dans ce domaine sans un accord commun des 3 institutions
💡 Rendre possible la censure individuelle des commissaires et celle de la censure collective de la commission par le Parlement
De potentielles censures contre la Commission ou à l’encontre d’un commissaire ne sont absolument pas envisageables actuellement.
🔎 De telles mesures seront très difficiles à mettre en œuvre, car elles nécessitent la révision des traités.
💡 Revision de l’article 7 du traité de l’UE sanctionnant les infractions des Etats membres
Cette proposition est incluse dans le programme de Raphaël Glucksmann. Cependant l’ajout concernant l’application des sanctions financières est intéressant et déjà été activé. Cette disposition peut être actionnée dans le cadre d’un mécanisme qui consiste à subordonner le versement des fonds européens au respect de l’Etat de droit. Par exemple le Conseil de l’UE a suspendu le versement d’un montant de 6.3 milliards d’euros destiné à la Hongrie relatif à des fonds européens de cohésion, estimant que les mesures qu’elle avait prises et les réformes demandées étaient insuffisantes au regard du respect de l’Etat de droit.
🔎 Ce mécanisme régit par un règlement possiblement modifiable par voie législative sera très compliqué à mettre en œuvre puisqu’il nécessitera un accord entre le Parlement et le Conseil de l’UE.
💡 Elargissement de l’UE
Le programme de LFI inclut le refus de tout nouvel élargissement de l’UE y compris l’Ukraine, tant qu’une harmonisation écologique, sociale, fiscale et des droits humains n’a pas été menée. Ces mesures font déjà partie intégrante des négociations dans le cadre d’une future d’adhésion à l’UE.
🔎 C’est une proposition est jouable à soutenir dans le cadre du prochain mandat, puisque le Parlement européen doit approuver tout élargissement. Le blocage à l’adhésion n’est cependant possible qu’à condition de recueillir une majorité et cela dépendra évidemment de la composition de la prochaine assemblée.
Les Écologistes
💡 Initiative Legislative – Vote à la majorité qualifiée
Des propositions similaires se retrouvent dans les programmes du RN en ce qui concerne l’initiative législative et en ce qui concerne le vote à la majorité qualifiée dans les programmes de Renaissance et du Parti socialiste/Place publique.
💡 Instauration de listes Transnationale aux élections europénnes
Cette disposition est reprise dans la liste Renaissance.
💡 Référundums d’Initiative Citoyenne
Un référendum d’initiative citoyenne est un mécanisme qui permet aux citoyens d’initier un référendum sur une question spécifique. Si la majorité des votants soutient la proposition, elle peut être adoptée et mise en œuvre. Cette procédure n’est applicable qu’en France et difficilement duplicable au niveau européen.
En revanche, il existe un mécanisme pour une « initiative citoyenne européenne (ICE) » qui permet aux européens de proposer des initiatives législatives à la Commission européenne. Les citoyens doivent recueillir un nombre requis de signatures provenant d’au moins de ressortissants d’au moins 7 Etats membres de l’UE. Elle doit porter sur un sujet dont la compétence relève de la Commission européenne. Si ces critères sont remplis, la Commission européenne doit l’examiner et donner une réponse, mais la procédure n’est pas juridiquement contraignante. Ce sont donc deux mécanismes de participation démocratique qui permettent d’influencer le processus décisionnel, mais ils diffèrent dans leur portée et leur champ d’application.
🔎 Cette disposition européenne n’a aucune chance de pouvoir évoluer dans le sens souhaité par les Ecologiques.
💡 L’encadrement du Lobbying Européen
C’est une disposition soutenue par LFI également mais les Ecologiques vont plus loin et soutiennent un organe indépendant qui puisse veiller à la fois à l’éthique et à l’intégrité des élus face aux activités de lobbying. Celui-ci a déjà fait l’objet d’une proposition de la Présidente de la Commission européenne, mais il n’a pas suscité l’enthousiasme des eurodéputés.
🔎 Le projet d’un organisme européen indépendant pour renforcer les normes éthiques a été proposé par la Commission européenne en 2023 après le scandale du Qatargate. Cet organe prévoit d’établir des normes minimales et une culture éthique commune pour l’ensemble des sept institutions européennes (Parlement européen, Conseil européen, Conseil de l’Union européenne, Commission européenne, Cour de Justice de l’Union européenne, Banque centrale et Cour des comptes européenne). La proposition « doit être ancrée dans un accord interinstitutionnel ». Mais elle pourrait bien se heurter à l’opposition de certains groupes parlementaires ou certains Etats membres. Si cette proposition des Ecologiques est tout à fait réaliste d’un point de vue institutionnel, elle sera donc difficile à mettre en œuvre.
Reconquête
💡 Suppression de la Commission Européenne et renforcement des pouvoirs du Conseil
Reconquête souhaite remplacer la Commission par un secrétariat qui serait l’exécutant et plus l’exécutif et qui serait placé sous l’autorité du Conseil de l’UE Il s’agit en fait de rendre l’initiative législative au Conseil c’est-à-dire les gouvernements des Etats membres. Cette disposition reviendrait à revenir totalement sur le fonctionnement actuel de l’Union.
🔎 Cette proposition nécessiterait que les traités européens soient totalement remaniés. Ce sera une disposition extrêmement difficile à mettre en œuvre, aucun des grands Etats membres ne souhaitent de telles mesures.
💡 Primauté du Droit Européen
Cette disposition est reprise dans le programme du Rassemblement National et à la marge par des Républicains, mais Reconquête va plus loin puisque son programme souhaite sanctuariser la primauté du droit national sur le droit européen et interdire aux juges de rendre inapplicable une législation nationale au prétexte qu’elle serait contraire au droit européen.
Tout a été dit plus haut dans cette analyse sur la nécessité de la primauté du droit européen sur le droit national pour préserver les institutions européennes telles qu’elles se présentent aujourd’hui.
🔎 Cette proposition amènerait non seulement à modifier la Constitution mais il faudrait accepter d’aller à l’encontre du droit et de toute la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. Elle serait donc extrêmement difficile à mettre en œuvre sauf à réviser l’ensemble des traités.
💡 Suppression de la diplomatie Européenne
Il s’agit de la suppression du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et donc d’arrête de doubler la diplomatie des Etats.
🔎 Le SEAE figure dans le traité de Lisbonne et donc depuis, vouloir le supprimer exigerait la révision des traités. Cette proposition est donc extrêmement difficile à mettre en œuvre.
💡 Elargissement de l’UE
Cette disposition figure dans le programme de La France Insoumise. Par cette proposition, Reconquête pourrait vouloir dire que son parti est contre toute nouvelle adhésion à l’UE dans l’avenir.
🔎 Dans ce cas, il paraît peu probable que cette proposition prospère puisque des négociations sont déjà engagées avec plusieurs pays.
S’il s’agit simplement de freiner les prochaines demandes d’entrées dans l’UE pour la mandature qui s’annonce, il sera tout à fait réalisable de s’y opposer puisque le Parlement aura à se prononcer, mais il faudra trouver des majorités.
🔎 Dans la mesure où il est très peu probable que des pays en cours de négociations fasse leur entrée dans l’Union, cette proposition se concrétisera d’elle-même