Propriété intellectuelle Europe/États-Unis : La commission européenne doit faire un effort pour protéger ses artistes – Par Colette Bouckaert
23 mars 2023

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Le 8 septembre 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt dans une affaire qui opposait le Recorded Artists Actors Performers Ltd (RAAP) société de gestion collective irlandaise des droits d’artistes interprètes ou exécutants à la Phonographic Performance Ireland Ltd (PPI), Société de gestion collective irlandaise des droits des producteurs de phonogrammes. Il s’agissait de savoir si un Etat Membre pouvait exclure les artistes ressortissants d’Etats tiers à l’Espace Economique Européen (EEE) du bénéfice d’une rémunération équitable.

ORIGINE DU CONFLIT

Ces deux sociétés (le RAAP et la PPI) avaient conclu un contrat qui stipulait que les « droits exigibles en Irlande pour la diffusion de musique dans les lieux accessibles au public ou la radiodiffusion de musique enregistrée, doivent, après avoir été payés par les utilisateurs à PPI, être partagés avec les artistes interprètes ou exécutants et, à cette fin, être partiellement reversés par PPI à RAAP ». Les parties étaient cependant en désaccord sur la portée de ce contrat concernant des droits payés à PPI lorsque la musique diffusée avait été interprétée ou exécutée par un artiste qui n’est ni ressortissant ni résident d’un Etat membre de l’EEE.

La RAAP estime que tous les droits exigibles doivent, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et aux accords internationaux auxquels cette directive fait référence, être partagés entre le producteur du phonogramme et l’artiste interprète ou exécutant, quelle que soit sa nationalité et le lieu de résidence de l’artiste. La PPI de son côté considère que les artistes interprètes et exécutants qui ne sont ni ressortissants ni résidents dans un Etat membre de l’EEE et dont les interprétations ou exécutions ne proviennent pas non plus d’un enregistrement sonore réalisé dans l’EEE, n’étaient pas éligibles à recevoir une quotepart des droits qui deviennent exigibles lorsque ces interprétations ou exécutions sont diffusées en Irlande, conformément au droit de l’Union Européenne.

En résumé, Le RAAP considère que les artistes interprètes ou exécutants aux Etats Unis notamment, devraient pouvoir être rémunérés en Irlande alors que la PPI soutient que cet Etat tiers qui ne respecte pas le principe de réciprocité n’octroie que très partiellement le droit à une rémunération équitable aux artistes interprètes ou exécutants irlandais.

DECISION DE LA CJUE

Dans son arrêt, la CJUE juge que « la directive de 2006, à la lumière du traité de l’OMPI, doit être interprétée comme une impossibilité pour un Etat Membre d’exclure les artistes ressortissants d’Etats tiers à l’EEE, les privant ainsi du bénéfice de la rémunération équitable aux seuls motifs qu’ils n’aient ni leur domicile ou leur résidence dans l’EEE. La Cour précisant en outre, qu’il fallait tenir compte des conséquences d’éventuelles réserves que des Etats tiers, parties au traité de l’OMPI, auraient pu être amenées à formuler.

Cet arrêt n’est pas sans répercussion pour le secteur de la musique. En effet, les droits à rémunération équitable des artistes-interprètes et des exécutants des Etats tiers étaient considérés comme des « irrécupérables » que les organismes de gestion collective européens utilisaient pour financer l’aide à la création.

Les professionnels du secteur musical se sont mobilisés pour expliquer les risques encourus pour l’avenir de la création musicale et demander à la Commission européenne de proposer un texte de modification de la directive droits voisins de 2006, afin d’atténuer les effets désastreux de l’arrêt RAAP. La Commission avait annoncé lancer une enquête en 2021 et l’on était en droit d’espérer qu’elle ferait une proposition de modification à la législation de l’UE. Aujourd’hui, force est de constater qu’aucun progrès n’a été fait dans ce domaine et que la Commission européenne tarde à mettre en place une solution de compensation qui permettrait de réparer le préjudice causé par cette décision de la CJUE.

La Société de Perception des producteurs de labels indépendants (SPPF) avait dans son rapport de 2021, souligné la bonne santé du secteur musical en 2022, après deux années marquées par les restrictions liées au Covid. Elle précisait avoir réparti pour cette année 2022 un total de 29.7 millions d’euros entre ses membres et alertait déjà dans son texte, que le gros dossier de l’année 2023 serait le contrecoup de l’arrêt RAAP. La SPPF souligne « Cette situation va provoquer en 2023 une perte de capacité de soutien financier à la production phonographique française dans son ensemble de l’ordre de 12.5 millions d’euros avec un transfert qui va bénéficier pour l’essentiel aux majors basées aux Etats Unis (25 millions d’euros pour les 4 OGC de droits voisins ».

La Société IMPALA (Indépendant Music Companies Association) a récemment interpellé la Commission européenne pour lui demander de terminer son enquête sur « l’approche de réciprocité ».

Il est évident que les principes fondamentaux du droit d’auteur international intègrent un principe de réciprocité et le problème essentiel se pose une nouvelle fois avec les Etats Unis.

En effet ces derniers, dont les artistes sont très écoutés en Europe, n’octroient pas de droit voisin à leurs artistes pour les diffusions à la radio. Les Européens qui eux rémunèrent ces diffusions doivent donc collecter et payer des droits aux artistes américains, sans bénéficier d’aucune réciprocité pour leurs artistes.

L’inaction de la Commission pour mettre sur la table une proposition visant à rétablir le principe de réciprocité qui permettrait de valoriser et pérenniser la création musicale européenne n’est malheureusement pas sans rappeler sa position ambiguë dans le cadre des négociations devant mener à l’officialisation d’un nouvel accord pour encadrer le transfert des données entre l’UE et les Etats Unis qui en l’état continuera à exposer les données personnelles des Européens et ne réglera nullement l’incompatibilité juridique entre le RGPD et le Digital Cloud Act américain.

Les intérêts économiques de l’Europe ne sont pas identiques à ceux des Etats Unis et cela est aussi valable lorsque l’on parle de ces deux secteurs très sensibles que sont la propriété intellectuelle et la protection des données. L’Europe doit absolument se défendre pour garder sa souveraineté, soutenir ses industries culturelles comme pour protéger les données de ses citoyens face aux États Unis.

Marin De Nebehay

Colette Bouckaert

Secrétaire Générale de l’iDFrights

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