Tiktok, la servitude volontaire des mineurs
10 juillet 2025

L’abroutissement des masses sous forme numérique atteint son paroxysme ; que vont devenir les enfants éduqués à l’algorithme TikTok et autres plateformes d’échange aux contenus le plus souvent ineptes ? Probablement des adultes formés par un amalgame indigeste de surinformation et désinformation incontrôlées. Nous parlons bien d’éducation, lorsque  des enfants et adolescents n’ayant pas atteint une maturité cérébrale sont confrontés parfois à bien plus de 6 heures par jour à des données en libre accès sans une réelle régulation et modération optimale. 

 

TikTok, ou le sablier de la concentration, le réseau social apparu en 2016, s’impose comme l’une des applications les plus utilisées au monde, notamment chez les jeunes. Enfants et préadolescents y passent de plus en plus de temps, exposés à un flux continu de vidéos courtes et stimulantes. Nous pouvons constater un certain cynisme dans l’appellation de cette technologie. Ironiquement ça renvoie à l’image d’une horloge dépourvue d’aiguilles, où le temps ne se quantifie plus, mais se perd, s’évapore en boucle de quelques secondes. Ce n’est pas juste une appli, c’est un métronome de dopamine. Cette plateforme chronophage nous rappelle aussi l’acronyme psychologique TIC (troubles involontaires du comportement) et TOC (troubles obsessionnels compulsifs). 

 

Dotée d’un algorithme surpuissant de profilage, elle propose, voire impose, une succession rapide et répétitive de courtes vidéos, (15 à 60 secondes), souvent accompagnées de musiques entraînantes qui favorisent des comportements quasi compulsifs chez les utilisateurs, notamment chez les plus jeunes, qui pour certains, ne sont plus un espace de divertissement mais rien d’autre que le miroir d’une époque définie par l’urgence, la répétition, une sorte d’obsession digitale qui nous leurre en  apaisant superficiellement nos frustrations. Ce format favorise donc une consommation rapide et addictive du contenu, sollicitant en permanence l’attention visuelle et auditive. Avec les écrans seulement deux récepteurs sensoriels sont concernés, auditif et visuel, or la mémoire a besoin de plus de récepteurs pour être optimisée.  

 

Ce mode influence la manière dont le cerveau des enfants traite et filtre l’information. TikTok active le système dopaminergique, responsable de la sensation de plaisir et de motivation. À chaque vidéo plaisante ou “like”, et une petite dose de dopamine est libérée. Cela crée un circuit de renforcement qui encourage à continuer à scroller, à la recherche constante de gratifications immédiates. 

 

Chez l’enfant, ce système n’est pas encore totalement régulé, ce qui augmente les risques de comportement compulsif et d’addiction.    En France, chaque mois, TikTok c’est 15 millions d’utilisateurs et près d’un enfant sur deux âgé de 11 à 12 ans qui s’y  inscrivent alors que la plateforme interdit théoriquement aux mineurs de moins de 13 ans, l’adhésion.   

 

Le cerveau, est en constante évolution, sa maturité se situe entre 20 et 25 ans. Jusqu’à la fin de l’adolescence, plusieurs régions cérébrales continuent de se développer, tout particulièrement le cortex préfrontal, impliqué dans la concentration, la planification, le contrôle des impulsions, et le système limbique, qui régule les émotions et la récompense. De ce fait la plasticité cérébrale, très élevée à ces âges, permet un apprentissage rapide, mais rend aussi le cerveau plus vulnérable aux stimulations répétées et aux habitudes numériques. 

 

La capacité d’adaptation de l’individu à tout contexte et bouleversement technologique est indéniable, mais dans ce cas il s’agit précisément de modélisation cérébrale, c’est-à-dire construction de la pensée et donc l’altération de nombreux paramètres cognitifs et comportementaux. 

 

Désormais les récentes études démontrent que TikTok à des effets néfastes sur les plus jeunes utilisateurs. L’étude de l’université de Pékin (2022) affirme qu’une exposition de plus de 2 heures par jour est associée à une augmentation de l’impulsivité et à une moindre régulation émotionnelle.    

 

Des effets émotionnels et identitaires : un usage intensif peut avoir des conséquences émotionnelles et sociales car les enfants recherchent la validation via les vues et les “likes”, affectant leur estime de soi. L’exposition répétée à des contenus stéréotypés ou irréalistes peut influencer leur vision du monde et de leur propre corps car la plateforme valorise souvent des standards de beauté ou de réussite qui amènent à des comparaisons sociales toxiques et aussi par imitation, à des attitudes ou des opinions sans recul critique, en affectant au final leur construction identitaire et leur autonomie de pensée. Fréquents sont les  cas recensés qui concernent des troubles de l’anxiété et de la dépression : effectivement l’exposition prolongée à du contenu négatif affecte et amplifie les symptômes déjà présents. 

 

Ce système numérique impose une temporalité très courte, on habitue les enfants au moindre effort ce qui développe chez eux des changements comportementaux, notamment l’impatience, ayant ainsi un effet immédiat sur l’attention : les vidéos courtes, très rythmées, entraînent un renforcement de l’attention sélective à court terme, mais peuvent nuire à la capacité de maintenir une attention soutenue sur des tâches longues ou complexes. Les enfants exposés régulièrement à ce type de contenu montrent une baisse de l’endurance attentionnelle, une tendance à la distraction, une diminution de la capacité à traiter l’information en profondeur. 

 

Ces effets peuvent impacter les performances scolaires et l’apprentissage. Selon l’étude Jama Pediatrics (2023) les enfants qui passent plus de 90 minutes par jour sur TikTok, montrent des difficultés de concentration accrues et des résultats scolaires nettement plus faibles.    Les incidences ne se limitent pas qu’à la santé mentale, mais touchent aussi l’état physique : fatigue oculaire, migraines, mauvaise posture, surpoids (lié à une inactivité, les nutritionnistes alertent sur les problèmes alimentaires). 

 

Bien plus grave, augmentation notamment chez les jeunes filles des actes d’automutilation. Certains défis viraux peuvent inciter à des comportements dangereux, pour soi et autrui. Sans parler du cyberharcèlement très présent sur la plateforme et qui provoque des conséquences psychologiques et physiques durables.    

 

Toutefois l’impact de TikTok peut dans certains cas, en moindre mesure, s’avérer positif, particulièrement en tant que moyen d’expression : les jeunes développent leur créativité et partagent leurs passions. En outre quelques développeurs proposent des contenus éducatifs, qui inspirent et sensibilisent aux enjeux sociaux. 

 

Depuis longtemps les sciences sociales dénoncent les dangers des écrans, du numérique pour les enfants et adolescents. Même la littérature nous prévenait des conséquences d’un monde où l’homme serait dépendant de la machine. Plusieurs auteurs nous ont alertés, dont Luigi Pirandello qui dépeint dans Le Cahier de Serafino Gubbio les premiers signes d’une aliénation moderne, née de l’image et de la machine en soulignant l’exploitation d’une identité factice, temporaire et superficielle, imposée par le regard des autres ou la fonction sociale. L’exposition de soi, souvent interprétée comme libératrice, au contraire, enferme dans un regard extérieur qui juge et élimine. 

 

TikTok, un siècle plus tard, confine l’individu dans une position passive en devenant spectateur de sa propre mise en scène, partagé entre le besoin d’exister et la crainte de disparaître dans le flux numérique.   

Pour faire face à toutes les nuisances de TikTok une démarche radicale et dans les plus brefs délais s’impose. C’est une action conjointe et complémentaire qui doit se déployer, entre le législateur, les institutions scolaires et une position stricte de responsabilité parentale. Les contraintes sociétales, l’explosion du noyau familial, la surcharge professionnelle ne doivent en aucun cas être un prétexte dérogatoire à une position ferme qui incombe aux parents.    Dans l’attente d’une application stricte de lois qui devraient  exclure l’utilisation des réseaux sociaux et des plateformes d’échange de contenus aux mineurs de moins de 13 ou 15 ans, certaines recommandations sont incontournables. Dans les écoles la priorité est de développer des programmes d’éducation au numérique. 

 

Pour limiter les effets négatifs de TikTok il faut encourager une utilisation encadrée et critique des réseaux sociaux, un usage limité (20-30 min/jour), avec supervision parentale, en valorisant un matériel à valeur éducative ou créative. Apprendre aux enfants comment signaler des contenus inappropriés ou bloquer un utilisateur, échanger avec l’enfant sur les informations qu’il recherche et qu’il veut diffuser. Instaurer des moments et des lieux sans connexion. Les enfants ont besoin de défis, intellectuels et sportifs, d’être challengés pour leur construction mentale, la technologie doit rester un outil et ne doit pas remplacer les fonctions cérébrales. Il est fortement conseillé de proposer des tâches alternatives, créatives, activités extérieures pour stimuler l’imagination et rompre les rythmes cognitifs des écrans. Instaurer une routine de coucher sans écrans. Montrer l’exemple : en tant qu’adulte limiter son temps d‘écran.  

 

Comme pour toutes addictions, l’interdiction immédiate et absolue est à proscrire, favoriser plutôt un équilibrage pertinent et sain. 

TikTok est un outil technologique extrêmement puissant, et souvent perturbateur pour un cerveau en développement, car il altère les fonctions attentionnelles, émotionnelles et sociales des enfants et des adolescents. La réglementation, l’éducation et la prévention sont les leviers clés pour préserver l’équilibre des jeunes générations.  

Evitons à nos enfants une totale délégation cognitive.   

Bruno Gameliel

Bruno GAMELIEL
Psychopédagogue / psychothérapeute
Enseignant-chercheur
CEO Sapientia-Program
Membre du cabinet / centre de recherche et formation Cepsit (Florence)

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