Veille UE « Digital & ICC » du 30 octobre au 7 novembre 2024
13 novembre 2024

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 

Les titulaires de droits européens demandent une mise en œuvre rigoureuse de la loi sur l’IA afin de protéger les droits d’auteur dans la formation à l’IA 

En amont des auditions au Parlement européen des commissaires désignés, 22 organisations européennes d’ayants droit leur ont envoyé, ainsi qu’aux députés européens et aux représentants permanents des États membres auprès de l’UE, une déclaration commune appelant à une « mise en œuvre significative de la loi sur l’IA » afin que les ayants droit puissent « exercer et faire respecter leurs droits » face à l’utilisation massive de données protégées par le droit d’auteur dans l’entrainement des IA. 

Après qu’une lettre ouverte de l’industrie ait appelé à une « certitude réglementaire » sur l’IA, « nous avons pensé que c’était le bon moment pour rappeler aux nouveaux décideurs politiques que nous sommes satisfaits de la législation actuelle sur l’IA, et leur demander de la mettre en œuvre d’une bonne manière », a expliqué Adriana Moscoso del Prado, la directrice générale du Groupement européen des sociétés d’auteurs et de compositeurs (GESAC), cosignataire de la déclaration commune. Celle-ci a été adressée aux vice-présidents exécutifs désignés (EVP) au Numérique, Henna Virkkunen, à la Politique industrielle, Stéphane Séjourné, et au commissaire désigné à la Culture, Glenn Micallef, ainsi qu’aux eurodéputés des commissions parlementaires des Affaires juridiques (JURI), du Marché intérieur (IMCO), de l’Industrie et de la Recherche (ITRE), de la Culture et de l’Education (CULT), et des Libertés civiles (LIBE).

La loi sur l’IA oblige les fournisseurs d’IA à usage général (GPAI) à « mettre à la disposition du public un résumé suffisamment détaillé » des données utilisées pour former leurs modèles mais ce seront les fournisseurs qui participent à la rédaction du code de bonnes pratiques pour la GPAI qui détermineront ce que ce résumé devra vraiment contenir.    Revenant sur une table-ronde consacrée au sujet, l’Association de l’industrie de l’informatique et des communications (CCIA) notait que les participants « se sont mis d’accord sur le fait que le code de pratique devrait uniquement se concentrer sur l’opérationnalisation de ce qui est dans la loi sur l’IA et ne pas toucher à la législation européenne existante sur le droit d’auteur » qui est « adaptée à l’objectif et ne devrait pas être réexaminée ». 

Si ce point est partagé, « nous avons besoin de la volonté des entreprises d’IA d’obtenir des licences [pour les données qu’elles utilisent]. Et jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé cette volonté » relevait toutefois la directrice générale du GESAC. La déclaration commune les y invite alors que les auditions de Mme Virkkunen et de M. Séjourné ce 12 novembre devraient précéder de peu la publication de la première version du code de pratique, avec une semaine de retard sur le calendrier initial. 

Les États membres veulent accélérer les investissements de l’UE en matière d’intelligence artificielle pour rattraper son retard technologique

Les ministres européens de l’Économie et des Finances, réunis à l’occasion du Conseil ‘Affaires économiques et financières’mardi 5 novembre, ont adopté l’ensemble de conclusions portant sur les ambitions européennes en matière d’intelligence artificielle (IA), qui avaient déjà été approuvées à la mi-octobre par les ambassadeurs des États membres auprès de l’UE.

Ce document répond au rapport accablant de la Cour des comptes européenne sur les manquements de l’UE en matière de gouvernance de l’IA. Afin d’y remédier, les États membres souhaitent renforcer et améliorer la gouvernance et « garantir un investissement accru et mieux ciblé pour progresser dans ce domaine ».

Le Conseil déclare approuver les conclusions des auditeurs : « L’UE doit accroître ses investissements dans l’IA et faciliter l’accès à l’infrastructure numérique afin d’être un acteur compétitif au niveau mondial pour avoir un impact global ». Dans les conclusions, les États membres estiment « nécessaire » l’accroissement des investissements européens dans l’IA.

Ils appellent également à « une synergie renforcée entre les programmes [de recherche et d’investissement] déjà établis » et à « revoir les objectifs d’investissement définis en 2018 », qui « ne peuvent plus servir de référence ». À cette fin, ils demandent « une révision du plan coordonné sur l’IA afin de l’aligner sur les dernières évolutions technologiques et les cadres réglementaires les plus récents » et pressent la Commission de réétudier « les indicateurs clés de performance existants » en vue d’évaluer la nécessité d’indicateurs spécifiques au développement de l’IA.

 

DONNEES

L’UE ouvre une enquête contre Temu pour non-respect des obligations du DSA

Le 28 juin dernier, la Commission européenne adressait à la plateforme de vente en ligne chinoise Temu une demande d’informations au titre du DSA, suspectant la plateforme de contrevenir à ses règles et de ne pas agir suffisamment contre la vente de produits illégaux, potentiellement dangereux pour les consommateurs européens. La filiale du géant chinois Pinduoduo disposait d’un délai de quatre mois pour prendre les mesures nécessaires, après plusieurs mises en garde et questions écrites adressées par les services de la Commission européenne à la plateforme, dont la dernière date du 10 octobre dernier. Ces échanges avec la plateforme et ses éléments de réponses n’ont pas convaincu les services de la Commission européenne, qui a annoncé le 31 octobre l’ouverture d’une procédure formelle à l’encontre de Temu

L’enquête se concentrera sur les systèmes mis en place par la plateforme pour limiter la vente de produits non conformes dans l’UE, les risques liés à « la conception addictive du service » visant notamment son système de récompenses de la fidélité client prenant la forme d’un jeu, la manière dont Temu recommande le contenu et les produits à ses utilisateurs et le respect de l’obligation de donner aux chercheurs l’accès à ses données accessibles au public. En cas de condamnation, la plateforme risque une double sanction : d’une part, une amende pouvant atteindre jusqu’à 6% de son chiffre d’affaires mondial et d’autre part, de se voir imposer des mesures correctives dont le non-respect pourrait à son tour conduire au bannissement de la plateforme hors de l’UE.  

Avec 92 millions d’utilisateurs dans l’UE aujourd’hui, la Commission ne s’était pas trompée en avril, quand elle a désigné Temu comme ‘très grande plateforme en ligne’ (‘VLOP’): elle a déjà gagné 20 millions d’utilisateurs depuis cette date. C’est cette croissance exponentielle et fulgurante de la plateforme qui a contribué à décider l’UE d’intervenir rapidement : outre les organisations de défense des consommateurs, les autorités nationales se sont aussi inquiétées de l’explosion des volumes de ventes de Temu, célèbre pour pratiquer des prix cassés, et se traduisant par l’acheminement et la livraison en Europe de millions de colis, contenant des produits dont la provenance ne peut pas être vérifiée et qui ne respectent pas les normes européennes. 

Face aux difficultés à mener des contrôles uniquement au niveau national, l’Autriche, le Danemark, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne avaient appelé dans une lettre commune à une application plus stricte du DSA et invité la Commission à collecter des données sur les infractions, en coopération avec les coordinateurs nationaux des services numériques, afin de détecter le plus rapidement possible les comportements répréhensibles et d’imposer des sanctions efficaces pour stopper les importations massives de colis. Pour la France, l’ampleur de ce phénomène a été confirmée dans un cadre différent par le PDG de la Poste, Philippe Wahl, auditionné par la Commission des affaires économiques du Sénat le 30 octobre, lorsqu’il a partagé des chiffres sur la « montée des plateformes chinoises Temu et Shein, qui représentent 22 % de nos colis en Europe. C’était moins de 5 % il y a cinq ans, 1 % de plus qu’Amazon qui est […] le premier client mais aussi le premier concurrent de la Poste ».

Au-delà des cas particuliers Temu et Shein aujourd’hui ou d’autres plateformes à succès demain, la lettre des 6 pays européens rappelait aussi la nécessité de trouver des solutions pérennes et robustes pour contrôler les expéditions de colis vers et en Europe, avançant « d’autres étapes dans les mesures d’application (…), par exemple la numérisation des spécifications du produit (…) cruciale afin de détecter automatiquement les lacunes – comme par le biais du passeport numérique du produit. » C’est le règlement sur l’écoconception  des produits durables, (ESPR), entré en vigueur le 18 juillet 2024, qui introduira ce passeport numérique pour les produits, les composants et les matériaux (DPP). 

Il stockera les informations pertinentes (performances techniques, matériaux et leurs origines, capacités de recyclage, etc.), qui seront accessibles par voie électronique, d’une part aux consommateurs, fabricants et autorités pour les aider à prendre leurs décisions en matière de durabilité, de circularité et de conformité réglementaire, et d’autre part aux autorités douanières, afin d’effectuer des contrôles automatiques de l’existence et de l’authenticité des DPP des produits importés. 

La mise en place des DPP est prévue à compter de 2027 : les produits textiles et les produits électroniques seront les premiers à devoir les appliquer.

pour faire face aux défis posés par l’économie numérique », a affirmé Mihály Varga, ministre des Finances de Hongrie, lors de la conférence de presse.

 

VIE INSTITUTIONNELLE UE 

EN BREF

  • Priorités numériques de la présidence polonaise du Conseil de l’UE – La future présidence polonaise du Conseil de l’UE, qui débutera le 1er janvier, accordera une priorité aux dossiers des télécoms et de la cybersécurité. Elle poursuivra les discussions en cours sur l’avenir des télécoms au sein du Conseil et lancera les travaux sur le Digital Networks Act, dont l’adoption est attendue pour début 2025 et qui vise à stimuler les investissements dans les réseaux et leur déploiement.

Au deuxième trimestre 2025, elle souhaite également faire progresser la révision de la loi sur la cybersécurité et préparer une recommandation visant à améliorer les procédures de coordination des réponses de l’UE aux incidents cybernétiques de grande envergure. En plus de la réunion semestrielle des ministres du numérique de l’UE prévue le 6 juin à Luxembourg, la Pologne organisera une rencontre informelle les 3 et 4 mars à Varsovie ainsi qu’une « Digital Summit » rebaptisée en Assemblée numérique, du 15 au 18 juin à Gdańsk. Le calendrier de la présidence comprend également une conférence sur les mondes virtuels (31 mars – 1er avril), une conférence sur les données (28 – 29 avril) et une conférence sur la diplomatie numérique (7 – 8 mai).

 

AUDITION DE  HENNA VIRKKUNEN 

Henna Virkkunen promet de rester fidèle au DSA sans provoquer de remous

Dans ses réponses par écrit au questionnaire « préauditions » du Parlement européen, publiées le 22 octobre, Henna Virkkunen, candidate au poste de vice-présidente exécutive à la Sécurité, la Démocratie et la Souveraineté technologique de la Commission européenne, a prudemment évité toute promesse ambitieuse en matière de régulation des contenus.

Preuve du soin apporté à la cohésion d’ensemble de ces réponses, les siennes reprennent les quatre priorités du programme politique de la Présidente de la Commission européenne pour la mise en œuvre du Digital Services Act (DSA) : la protection des mineurs, la conception addictive, la transparence des algorithmes et la protection de l’espace informationnel. Si ces priorités sont elles-mêmes ambitieuses, l’exercice maîtrisé des réponses à l’écrit manque d’indications sur des convictions plus personnelles de Mme Virkkunen : elle n’en manque pourtant (et heureusement) pas et se voit proposé avec ce portefeuille des responsabilités à la mesure de ces compétences. Ex-journaliste et ancienne ministre de l’Éducation de la Finlande, élue députée du PPE en 2014, elle s’est forgé une solide expérience et a fait preuve d’une réelle maîtrise des dossiers liés au numérique, tant sur le DSA que le DMA, mais aussi s’agissant de l’IA Act, du Cloud ou encore de la cybersécurité.

 Dans ses réponses écrites, Henna Virkkunen – tout comme le commissaire désigné à la Démocratie, Michael McGrath – évoque fréquemment le « bouclier démocratique » promis par Ursula von der Leyen dans son programme politique 2024-2029 : s’en tenant à la lettre de mission qu’elle leur a adressé, elle n’apporte dans ses réponses à l’écrit aucune précision supplémentaire aux mesures déjà initiées par la précédente Commission (tout comme McGrath). L’audition de Mme Virkkunen permettra donc de mieux comprendre si ce « bouclier démocratique » se fonde sur le seul bilan de mandat de la précédente Commission ou s’il sera complété de nouveaux instruments de défense comme le suggère son intitulé.

Sur la mise en œuvre du DSA, la vice-présidente désignée adopte une approche plus mesurée dans la forme que son prédécesseur, Thierry Breton. Ce dernier avait été très critiqué dans sa communication, qui avait aussi fortement déplu à Mme Von der Leyen, lorsqu’il s’adressait directement aux PDG des plateformes, et en particulier celui de X – notamment un échange aussi tendu qui médiatisé qui avait « politisé » la question de l’application du DSA, Elon Musk étant déjà activement engagé dans la campagne électorale de Donald Trump. 

Dans ses réponses écrites, Henna Virkkunen promet une application « fondée sur des preuves », sans toutefois « hésiter à prendre des mesures fortes » en cas de danger imminent pour les citoyens. On peut y lire autant de prudence que de fermeté, l’une n’empêchant pas l’autre. Dans quelle mesure ? C’est ce que tenteront d’évaluer les députés qui l’interrogeront sur la mise en œuvre du DSA lors de son audition au Parlement européen ce 12 novembre.

AGENDA DE LA SEMAINE PROCHAINE

Parlement européen : auditions des commissaires désignés, notamment :

  • Mardi 12 novembre (14h30-17h30) : Stéphane Séjourné (ITRE, IMCO,  ENVI, ECON) 
  • Mardi 12 novembre (18h30-21h30) : Henna Virkkunen (ITRE, IMCO)

 

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Les numéros précédents de notre veille UE  » digital & ICC »

Veille UE « Digital & ICC » du 7 au 14 novembre 2024

Veille UE « Digital & ICC » du 7 au 14 novembre 2024

La Commission a publié le premier projet de code de bonnes pratiques sur l’intelligence artificielle (IA) à finalité générale.Cette première version du code de bonnes pratiques a été élaborée par les experts indépendants nommés par le Bureau de l’IA à la présidence et à la vice-présidence des quatre groupes de travail du Code de pratique général sur l’IA.

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Veille UE « Digital & ICC » du 10 au 17 octobre 2024

Veille UE « Digital & ICC » du 10 au 17 octobre 2024

Les députés européens Michael McNamara et Brando Benifei choisis pour diriger le groupe de surveillance sur l’IA du Parlement européen.

Le groupe de surveillance sur l’IA du Parlement européen est chargé de superviser la mise en œuvre du règlement sur l’IA : il sera en quelque sorte le pendant du Bureau de l’IA, à la différence que celui-ci est prévu dans les dispositions du règlement alors que le groupe de surveillance est à l’initiative du seul Parlement européen, poussé lors des travaux sur l’IA Act par M. Benifei en particulier.

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Veille UE « Digital & ICC » du 3 au 10 octobre 2024

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Dans un monde où la technologie et l’innovation évoluent à une vitesse fulgurante, le droit et les politiques européennes tentent de suivre tant bien que mal, au rythme des consultations, les travaux préparatoires des nouvelles initiatives annoncées pour la mandature. A la vitesse des procédures législatives et travaux parlementaires, pondérée par les coups de freins et d’accélérateur des groupes politiques et des États membres, une veille européenne de qualité reste un outil incontournable pour suivre l’actualité européenne.

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