Telegram, clés de lecture
6 octobre 2024
Par Alexis Roussel
Directeur des opérations (COO) de Nym Thechnologies, Membre du Conseil d’orientation stratégique iDFrights

Telegram est une messagerie lancée en 2013 par Pavel Durov. Avec 100’000 utilisateurs la première année, Telegram compte désormais 950 millions d’utilisateurs actifs mensuels. En 10 ans, Telegram est devenu un géant par le nombre de ses utilisateurs.

Qui est Pavel Durov ?

Pavel Durov est un citoyen russe qui a d’abord fondé le plus gros réseau social russe, VK. En 2012, il revend une partie de VK puis il démissionne en avril 2014 après avoir refusé de fournir aux autorités russes les données des protestataires de Maidan en Ukraine, également utilisateurs de VK. Craignant pour ses affaires, il déménage à Dubaï où il fonde Telegram. Il obtient également la nationalité de plusieurs pays, dont Saint Kitts et Nevis (deux pays des Caraïbes). Il obtient également la nationalité française dans des circonstances qui font douter de nombreuses personnes. La fortune de Durov est issue de la vente de VK, mais également d’un investissement judicieux en Bitcoin. Son parcours a largement contribué à l’image de Telegram comme application qui ne coopère pas avec les autorités et garantit un espace d’échanges non-censurés.

Pourquoi un tel engouement ?

La messagerie est réputée fiable, rapide, avec une des meilleures interfaces existantes. Le moteur de recherche interne est d’une rapidité peu égalée. La messagerie s’est vite imposée dans un certain nombre de pays, notamment en Europe de l’Est et dans des pays avec des régimes censurant facilement les réseaux. Telegram a acquis une réputation de messagerie qui résiste à la censure. L’application est particulièrement prisée en Russie, en Iran, en Inde. La personnalité discrète de Pavel Durov, une qualité de logiciel inégalée et une résistance effective à la censure, font que l’application devient rapidement le choix par défaut de nombreux utilisateurs. La possibilité d’y ajouter des agents autonomes, ainsi que les gestions de groupes où les membres ne sont pas visibles, ont permis le développement de nombreux services, légaux et illégaux voire criminels. Telegram est notamment utilisé pour le trafic de drogue. Mais il faut savoir qu’ au-delà des usages peu recommandables et illicites, Telegram est aussi un vecteur qui est à la source importantes informations d’actualité mondiale. On peut y suivre par exemple les unités de l’armée israélienne, comme des militants du Hamas, ou encore des bataillons ukrainiens qui y donnent les dernières Nouvelles de la guerre . C’est à la fois un instrument de propagande et un très puissant outil professionnel prisé dans la finance et les milieux technologiques.

Est-ce vraiment sûr ?

C’est là que le bât blesse. Telegram a toujours été critiqué par les experts pour son manque de chiffrement. Comparé à Signal ou Whatsapp qui chiffrent les discussions automatiquement, le chiffrement est une fonctionnalité qu’il faut activer manuellement dans Telegram. La grande majorité des utilisateurs ne le font pas. De ce fait, les groupes ne sont pas véritablement chiffrés. Au-delà du chiffrement, ce qui est intéressant c’est que toute l’infrastructure de Telegram est centralisée sous le contrôle de la petite équipe d’ingénieurs qui peuvent ainsi assurer une qualité de service inégalée.

Telegram a choisi de favoriser l’expérience “utilisateur” qui reste unique, leur assurant une plus grande sécurité et décentralisation. Les équipes de Telegram ont toujours refusé l’accès aux autorités, cependant, il ne fait aucun doute sur le fait qu’elles ont accès aux conversations et qu’elles pourraient y apporter une modération.

Quel modèle économique?

L’application est gratuite, mais récemment, Telegram a ajouté un modèle payant, “Telegram Premium”, offrant des fonctionnalités supplémentaires à plus de 5 millions de clients. Encore plus récemment, Telegram a permis le développement de mini apps dans l’écosystème.
En février 2024, les revenus de Telegram étaient estimés à 6.1 millions de dollars, par mois.

Avant d’introduire la monétisation, afin de financer son fonctionnement, la plateforme a lancé sa propre cryptomonnaie, “TON”. À l’instar de Libra, la monnaie de Facebook, Pavel Durov voulait créer un écosystème indépendant avec sa propre cryptomonnaie. Contrairement à Libra qui cherchait une validation réglementaire, Telegram organise une levée de fonds gigantesque puis se voit sanctionné par la SEC (l’autorité des marchés américaine). Les investisseurs doivent alors être remboursés. Quoi qu’il en soit, la cryptomonnaie “TON”développée par Nikolai Durov, le frère de Pavel, est finalement lancée. Si elle est facilement utilisable sur Telegram, il s’agit maintenant d’une entreprise distincte.

Telegram, le mauvais garçon devenu trop gros?

Par son infrastructure et son attitude, Pavel Durov et son équipe ont pu résister longtemps aux demandes des autorités de différents pays. Leur sécurité était au niveau et elle offrait une protection assez efficace pour des millions de personnes à travers le monde. Mais en devenant très importante et en voulant développer sa propre monnaie, les marges de manœuvres de Pavel Durov se sont rapidement restreintes. Dans un rare exercice de communication, il partageait sa vision dans une longue interview avec Tucker Carlson (éditorialiste américain et animateur de television).

Comme un dernier défi, il y confirme qu’il ne cédera pas aux les demandes des autorités de modérer la plateforme et dit avoir des finances suffisamment solides pour continuer même dans l’adversité.

Quelques mois plus tard, il est arrêté à Paris pour ne pas avoir coopéré et ne pas avoir imposé de modération sur le réseau. Mais la réalité technique est implacable: de par son non-chiffrement automatique et sa centralisation, Telegram peut tout à fait être modéré. D’ailleurs, la position de la plateforme , qui ne semble plus être protégée par son créateur, a évolué. Elle a déjà commencé à céder.

Pour preuve, alors que Telegram est utilisé en Ukraine par près de la moitié de la population pour s’informer et qu’il a joué un rôle important dans l’évacuation et la mobilisation de la société civile pendant la guerre, les autorités militaires de ce pays viennent d’interdire le 20 septembre 2024 pour des raisons de sécurité à tous les fonctionnaires et militaires d’installer l’application. Les autorités auraient suffisamment de preuves que les services secrets russes ont accès aux correspondances.

Ce n’est qu’un signe avant-coureur. La plateforme annonce le 23 septembre vouloir se conformer aux exigences de modération et de communication des données de connexion.

Le futur de Telegram n’est pas compromis, cette application reste utile. Mais le paysage des logiciels de messagerie va certainement évoluer vers une plus grande fragmentation ainsi que plus de chiffrement et plus de décentralisation. En cherchant à contrôler Telegram, les autorités publiques risquent hélas de se retrouver face à une myriade de messageries bien plus difficile à maîtriser. C’est un dossier à suivre avec attention.

Alexis Roussel
Directeur des opérations (COO) de Nym Thechnologies
Membre du Conseil d’orientation stratégique iDFrights

 

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