Droit voisin de la Presse : attention danger !
7 mai 2024

Spécificité de l’approche italienne : l’aménagement des modalités de gestion du droit voisin des éditeurs de presse 

La Directive DSM (Digital Single Market) reste silencieuse sur la question clé concernant la possibilité de renoncer au droit et les modalités de son exercice. 

Une question spécifique avait été posée au Commissaire Breton concernant les modalités de licence. Au nom de la Commission européenne, il avait fait valoir que, puisque le texte de la Directive ne précise pas comment la licence sous cette disposition doit être effectuée, les éditeurs de presse devraient avoir la possibilité de concéder des licences pour l’utilisation de leurs publications de presse tant individuellement que collectivement. Inversement, la seule disposition de gestion collective obligatoire en vertu du droit national serait indûment restrictive et contraire au libellé de cette disposition. 

Une mise en œuvre longue et complexe

L’article 43-bis de la Loi italienne sur le droit d’auteur a introduit un mécanisme qui doit s’appliquer dans l’éventualité où aucun accord n’est conclu entre les parties concernées. Dans une telle situation, l’Autorité de communication italienne AGCOM doit déterminer le montant de la « compensation équitable » (« equo compenso ») due aux éditeurs de presse.

À cette fin, l’AGCOM a été chargée d’adopter un règlement – ce qu’elle a fait au début de 2023 (delibera AGCOM n. 3/23/CONS) – identifiant les critères pour déterminer la « compensation équitable » due aux éditeurs de presse, en tenant compte d’une série de facteurs, y compris : – le nombre de vues en ligne de la publication de presse – les revenus publicitaires générés – les années d’activité –la part de marché de l’éditeur de presse et le nombre de journalistes employés – les coûts encourus pour les investissements technologiques et infrastructurels par les éditeurs de presse et les plateformes – les avantages économiques découlant, pour les deux parties, de la publication en termes de visibilité et de revenus publicitaires. 

Sans préjudice de la possibilité de mener une action en justice, les parties (après un délai de 30 jours à compter de la demande de débuter les négociations sans avoir atteint un accord sur le montant de la compensation),  auront le droit de s’adresser à l’AGCOM, qui – dans les 60 jours suivant la demande – évaluera les propositions économiques faites par les parties ou, si aucune des deux n’est jugée conforme aux dispositions du règlement pertinent, fixera le montant de la compensation équitable ex officio. 

En l’absence d’un accord après la décision de l’AGCOM, chaque partie peut renvoyer l’affaire devant les autorités judiciaires (avec la précision que toute limitation injustifiée du contenu des éditeurs dans les résultats de recherche pendant la période de négociation peut être évaluée aux fins de vérifier le respect de l’obligation de mener les négociations de bonne foi).

Conformité avec le Droit de l’UE 

Dès le début des débats sur la transposition de la directive, l’Autorité italienne de la concurrence AGCOM s’est montrée préoccupée par le fait que le mécanisme pourrait être incompatible avec le droit de l’UE. 

De fait, Meta a engagé une action devant le tribunal administratif (TAR Lazio) demandant l’annulation du règlement AGCOM. Facebook prétend que – contrairement à la transposition italienne – l’article 15 n’imposerait aucune obligation aux PSSI (politique de sécurité des systèmes d’information) d’obtenir une licence pour l’utilisation de publications de presse, ni une obligation de rémunérer les éditeurs de presse.

La transposition italienne de l’article 15 serait, selon Meta serait un cas clair de « surtransposition ». Ce terme fait référence à des situations dans lesquelles les États membres vont au-delà du libellé du droit de l’UE et imposent des exigences, obligations ou normes supplémentaires aux destinataires de la législation nationale résultante qui dépassent la disposition correspondante de l’UE, avec le risque que les objectifs de la pièce pertinente de la législation de l’UE soient affectés négativement ou même contredits.

En outre, cela contredirait la liberté fondamentale de mener une entreprise, reconnue par l’article 16 de la Charte de l’UE, avec pour résultat que la liberté de contracter et la liberté de concurrence seraient indûment comprimées. Cela irait également à l’encontre du principe du pays d’origine et de la libre circulation des services.

Le TAR Lazio a décidé (sentenza 18790/2023) de suspendre la procédure et de demander à la CJUE de clarifier si l’article 15 de la Directive DSM empêche les législations nationales qui : – prévoient des obligations de rémunération (equo compenso) en plus des droits exclusifs accordés en vertu de la disposition de l’UE ; – obligent les PSSI à  (ii) fournir aux éditeurs de presse et à l’AGCOM les informations nécessaires à la détermination de l’equo compenso, et (iii) ne pas limiter la visibilité des publications de presse pendant la négociation – confèrent à une autorité administrative comme l’AGCOM les pouvoirs que la législation italienne lui a donnés, y compris (a) la supervision et la sanction, (b) la détermination des critères de rémunération, (c) en l’absence d’accord entre les parties, la rémunération due. De plus, le TAR Lazio demande quel rôle jouent les articles 16 et 52 de la Charte de l’UE, ainsi que la liberté de concurrence en vertu de l’article 109 TFUE, dans un tel scénario.

Il faut maintenant attendre la décision de la CJUE, rester prudent et ne pas être tenté d’interpréter cette position comme étant la seule solution à la révision de l’article 15 de la Directive droit d’auteur.

Quelles solutions européennes pour sécuriser le droit voisin de la presse.

Le remède pourrait être pire que le mal. La réouverture de la Directrice « droit d’auteur » dont on parle beaucoup ces derniers temps, ferait courir un risque considérable aux industries culturelles et à la presse.  Principalement parce qu’il n’est pas crédible de penser que seul l’article 15 concernant le droit voisin de la presse serait l’objet de cette révision. Non, une fois la boîte de pandore ouverte, plusieurs articles de la directive pourraient être impactés et le risque majeur serait l’affaiblissement de tous les acquis que le texte a apporté en matière de protection et de rémunération des ayants droits, éditeurs et agences de presse. Il faut aussi souligner qu’il sera très compliqué d’obtenir mieux et notamment une gestion collective des droits qui soit obligatoire 

L’Institut s’est penché très sérieusement sur cette question et considère en revanche que la révision de la Directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle de 2004 (IPRED) ouvrirait des pistes intéressantes face à l’IA générative et notamment une régulation réfléchie qui pourrait prendre en compte le développement vertueux de cet outil et la stimulation de l’économie créative.

Tout d’abord, IPRED est une législation qui a vingt ans et qui nécessite d’être actualisée au regard des enjeux exponentiels du numérique. En créant un environnement propice à une meilleure harmonisation de la circulation des œuvres sur le marché européen, elle répondrait, grâce à des mécanismes de surveillance et à un équilibre entre un encadrement plus transparent de bonnes pratiques, et des sanctions appropriées, à établir et garantir des relations plus claires avec les plateformes d’IA génératives.

La directive IPRED s’attache notamment de la lutte contre la contrefaçon et le piratage. Dans ce contexte, elle paraît le vecteur idéal pour obtenir un renforcement de la protection des créateurs via la lutte contre l’utilisation illégale des contenus protégés. Les algorithmes de l’IA ne pouvant prospérer qu’avec la captation d’un très grand nombre de données générées sans l’autorisation de leurs auteurs, IPRED semble l’instrument idéal pour réguler l’IA générative sans préjudice pour l’innovation et l’investissement. 

Cette dynamique, en préconisant des mesures plus strictes pour détecter et prévenir les abus constitutifs à l’utilisation abusive des contenus protégés, aurait le mérite de sécuriser la rémunération proportionnée inscrite dans l’article 17 de la directive « droit d’auteur » qu’il faut absolument sanctuariser.

La révision de la Directive IPRED sera une des priorités soutenues par l’Institut dans le cadre de ses échanges avec la Commission européenne et du futur Parlement européen. L’objectif sera de proposer des politiques culturelles ambitieuses qui auront un impact direct sur la protection des créateurs et de la presse en pérennisant   la qualité des contenus artistiques et en garantissant la crédibilité et l’intégrité du traitement de l’actualité.

Jean-Marie Cavada

Jean-Marie Cavada

Président iDFDrights 

Colette Bouckaert

Colette Bouckaert

Secrétaire Générale iDrights

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