Ni herbivore ? Ni carnivore ? Européens !
6 mars 2025

Au 21e siècle, le marqueur étant le« Nine Eleven», nous assistons pour paraphraser Fukuyama, « au retour de l’histoire». 

Elle ne nous avait quittés qu’une dizaine d’années

Au début des années 90, Helmut Kohl s’exclamait:« nous n’avons plus d’ennemis». 

Ce qui signifiait la fin du monde hobbesien et l’entrée dans l’ère kantienne: donc Fukuyama n’avait pas tort!  

Mais les egos tant personnels que collectifs ont balayé ce qui représentait une préfiguration éphémère et très approximative de ce qui pourrait être un petit paradis sur terre. Petit paradis non seulement pour les ressortissants de l’Union européenne, mais également pour la quasi-totalité du monde occidental et même des pays qu’on appelait «en développement ». Car nous y vivions en paix et avec des règles. Certes, tout n’était pas parfait, loin de là, mais nous n’avions jamais aussi bien vécu dans toute notre histoire.  

Dès les débuts de la construction européenne, la volonté de paix en a été l’ADN. Tant en son sein, en accordant les droits les plus larges à chacun, en le libérant de tout joug étatique et en ne lui imposant que de respecter les droits de ses semblables, qu’à l’extérieur, avec l’apogée de l’ONU, l’intégration de la Chine dans le concert international et à l’OMC. Et c’est cette ADN qui a justifié les élargissements successifs. 

 

 

Les prétendus carnivores sont au mieux des autocrates 

Mais dans ce monde pacifié, les carnassiers sont malheureux. Ce qui les amène à soutenir que ce monde si paisible, débarrassé de la famine (sauf dans les zones de guerre en Afrique), assurant le bien être d’une très grande majorité des citoyens, serait mauvais.  

 Notamment et surtout parce qu’il ne leur permet pas de faire ce qu’ils veulent, c’est-à dire de ne pas respecter les droits collectifs et individuels des «autres». Ces autres forcément méchants et qui seraient leurs ennemis. 

Cette montée des carnivores s’accompagne très souvent de rêves de grandeur et donc de volonté de conquête, masquée sous de louables- à priori!-raisons et revendiquées au nom de l’Histoire. 

Celle-ci a bon dos

Face à cela, nombre de nos concitoyens font semblant de comprendre Poutine par exemple, ou cherchent l’apaisement avec Xi Jinping. Ils voudraient déjà rechercher l’apaisement à tout prix avec Trump, mais en se précipitant, chacun, dans l’espoir d’échapper ainsi à son ire- ou devrait-on dire: ses foucades- Les mêmes, au prétexte de prétendues faiblesses de nos démocraties où il fait bon vivre sans crainte, soutiennent que le moment serait venu de supprimer cet Etat de droit qui est au fondement de la construction européenne. Car, selon eux, cet Etat de droit nous encombrerait, il s’opposerait à la démocratie, à la volonté du peuple, qui n’en voudrait plus… Ainsi d’aucuns proclament la fin de la primauté du droit européen, sans même imaginer que cela signifie la fin de l’Union européenne. D’autres confondent, ou font semblant de confondre, «Etat de droit» et droits individuels des citoyens européens, pour prôner le non-respect des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Bref on se croirait revenu aux années trente. 

Encore selon eux, il s’agirait de prendre conscience de ce monde hobbesien, car il le serait par nature. 

Toujours selon eux, notre société européenne serait caractérisée par « la dictature des juges», notamment européens et ceci ne serait pas la volonté du peuple. Nos sociétés européennes seraient également infestées par les idéologies verte et woke ; ce qui en ferait des herbivores ! Ce dont le «peuple» ne voudrait pas davantage. 

Cependant, ces tenants de l’homme fort ne se donnent pas la peine d’expliquer ce qu’est ce peuple au nom duquel ils s’expriment. 

 En France, serait-ce celui de Marine, ou celui de Jean-Luc ? ou encore serait-ce ceux du bloc central.

 

 

Le courage de réformer, au lieu de s’en remettre à un «Homme fort». 

NON, le peuple est l’alibi- étendard de tous ceux qui veulent le pouvoir pour eux, en faisant plaisir à « leur » peuple tout en écrasant les « autres » peuples! Osons le dire, en France, ce sont avant tout des Jacobins de tout poil et il y en a aussi à la droite de la droite.

Tous ces nouveaux laudateurs de l’homme fort, capable de s’imposer dans un monde où la force primerait le droit, ont-ils seulement pensé à ce que sera un tel monde? Sont-ils certains d’appartenir à un pays, d’être citoyen d’un Etat, qui sera capable de rivaliser avec des autocrates dirigeants des empires gigantesques et aux visées impériales, tout en n’étant plus contraint par aucun droit, mus par leurs seuls intérêts?  

Outre que cela constituerait une régression d’avant notre civilisation chrétienne, les petits et moyens Etats n’auraient d’autre choix que de devenir vassaux d’un des 3 empires, ou de quelques sous empires aspirant à devenir des empires.

Quant à l’homme fort qui aurait la charge de redresser la France, « de remettre de l’ordre », dès lors qu’il se comporterait comme Trump, c’est-à-dire en méprisant les droits individuels au nom d’un intérêt supérieur- Avec lui comment vivrions-nous

Alors, évitons la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain et de choisir la facilité consistant à refuser de faire les réformes qui s’imposent, certes compliquées et difficiles à mettre en œuvre. Evitons surtout de mettre notre avenir entre les mains d’une révolution ou d’un homme providentiel- ou les 2 à la fois.

 

L’impérieuse nécessité européenne

Soyons plutôt conscients des bienfaits dont nous jouissons. Cessons de vouloir ressusciter le passé, il est mort définitivement et inspirons-nous de ce qu’il a laissé de meilleur pour créer notre avenir. 

Dénoncer des dérives, c’est avoir l’esprit critique et il faut revendiquer de conserver ce droit. Dénoncer que certaines dérives proviennent d’un déni de réalité et/ ou d’un courant idéologique et quasi religieux- ce qui est exact- ne doit pas conduire à l’instauration d’une autre religion, fût-elle celle de l’homme providentiel… 

Alors oui au progrès scientifique et à cette révolution numérique en marche, mais non aux libertariens prêts à fouler aux pieds nos droits et libertés les plus fondamentales. 

Notre histoire depuis l’Antiquité gréco-romaine doit nous porter à refuser et la barbarie impériale, guerrière et religieuse de Poutine, et le comportement stupéfiant et fascinant de Trump, matiné de Far-West, de téléréalité, conduit à coups de tweets avec l’appui des Magnificent Seven. 

A la volonté expansionniste et totalitaire, nous devons- et nous le pouvons– nous opposer farouchement. Notre volonté pacifiste- qui est notre ADN depuis 45- doit nous pousser à combattre tous ceux qui veulent la guerre. Mais à cette fin, il nous incombe de créer une puissance européenne non agressive, avec une Défense ayant pour objectif dedissuader tout agresseur potentiel et de répondre à toute menace contre l’Union. Et c’est maintenant, qu’il faut agir, sans tergiverser. 

Bien entendu, cette puissance garantie par une Défense effective ne peut que s’inscrire dans l’autre ADN de l’UE: un Etat de droit dans une démocratie libérale et sociale. 

Bref, nous rejetons les carnivores mais nous ne sommes pas des herbivores, nous sommes des Européens. Soucieux d’offrir à nos enfants et petits-enfants le droit de vivre dans un monde aussi sympathique que celui dans lequel nous avons passé les 75 dernières années. 

Jean-Pierre Spitzer

Jean-Pierre Spitzer

Avocat honoraire et Conseiller référendaire à la CJUE

Vice-Président iDFrights

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