18 février 2021
1. La nécessité d’introduire un système de « notice and stay down » (notification et retrait).
L’une des grandes difficultés de la lutte contre les contenus illégaux est la réapparition constante de contenus qui ont déjà été signalés et retiré par une plateforme. Il est en effet très aisé de téléverser à nouveau un contenu illégal fraichement retiré, forçant à perpétuellement recommencer la procédure de notification ou à faire appel systématiquement à la justice. Ces deux options demandent beaucoup de temps, de ressources et ne sont absolument pas viables compte tenu de l’échelle et de la rapidité de diffusion des contenus sur internet.
Ce système manuel, hérité de la Directive E-Commerce et conservé dans le DSA, ne suffit donc plus et il est indispensable de le compléter avec un mécanisme de « notice and stay down » qui obligerait les plateformes à s’assurer qu’un contenu spécifiquement notifié et reconnu comme illégal ne puisse pas être remis en ligne. Les technologies nécessaires pour cela existent, fonctionnent et sont utilisées depuis longtemps, mais reposent uniquement sur le bon vouloir (limité) des plateformes. Ce n’est que par ce biais que l’on pourra faire passer la lutte contre les contenus illégaux au 21ème siècle.
2. Donner une réelle valeur ajoutée aux signaleurs de confiance et à la lutte contre les abus
L’introduction dans le DSA des systèmes de « signaleurs de confiance » et de lutte contre les abus sont un premier pas bienvenu avec un vrai potentiel. Malheureusement, leur faiblesse actuelle les rend presque inutile voire en retrait par rapport aux pratiques actuelles. Ces mécanismes doivent donc être renforcés significativement. Le statut de signaleur de confiance ne devrait pas être réservé uniquement aux organisations représentant des intérêts collectifs, mais à toute entité démontrant une expertise appropriée et l’efficacité de ses notifications. Pareillement, ce statut ne devrait pas juste permettre un « examen prioritaire » des notifications mais être accompagné d’une présomption de validité de la notice, entrainant le retrait immédiat du contenu signalé.
De même, les utilisateurs qui mettent en ligne du contenu illégal de manière répétée devraient faire l’objet de sanctions réellement dissuasives de la part des plateformes tels que la suppression définitive de leur compte, et non une simple suspension temporaire qui peut être facilement contournée.
3. Étendre certaines obligations à toutes les plateformes.
Enfin, le champ d’application de certaines obligations doit être étendu à toutes les plateformes pour lesquelles elles se justifient, plutôt que de se limiter artificiellement.
Si tenir compte des PME est important, elles ne devraient pas être dispensées de responsabilités pour autant. Beaucoup d’activités illégales ont lieu sur des services de petite taille. Or le DSA exempte les PME de la plupart des obligations du Règlement, ce qui ne se justifie nullement par le fardeau que représente ces obligations.
Le système de signaleur de confiance, par exemple, n’imposerait aucun fardeau supplémentaire, puisqu’il repose sur le système de notification et action (déjà applicable) et sur l’octroi du statut par l’autorité nationale compétente. Une PME n’aurait donc qu’à reprendre la liste établie par l’Etat sans aucun effort supplémentaire.
Enfin, le mécanisme de traçabilité des vendeurs (ou « KYBC ») ne devrait pas être limité aux seules plateformes de ventes en ligne, mais applicable de manière beaucoup plus large tant il est essentiel. En effet, pour pouvoir tirer bénéfice de leur activité et être accessible aux internautes, les fournisseurs de services ou de contenus illégaux reposent sur les services fournis par d’autres services (eux légitimes), comme l’hébergement ou les moyens de paiement. Etendre le champ du KYBC renforcerait de manière significative la sécurité sur internet tout en « affamant » les services illégaux en rendant leur activité beaucoup plus difficile à maintenir.
Quentin Deschandelliers
Conseiller Juridique à la Fédération des Editeurs Européens

Quentin Deschandelliers
Conseille les éditeurs européens sur les politiques européennes après 6 ans d’expérience au Parlement européen comme assistant parlementaire. Expertise en matière de politiques numériques et culturelles.
L’Institut
À la fois enjeu de nos sociétés démocratiques et ingrédient stratégique pour les acteurs économiques, les données numériques sont au coeur des grands questionnements autour du monde digital. La gouvernance des données ne peut plus s’en remettre au hasard des initiatives isolées ou aux simples lois du marché : elle doit être, à différents niveaux, régulée, organisée, codifiée. Si le règlement européen RGPD constitue une avancée majeure reconnue bien au-delà des frontières de l’UE, il ne suffira pas.
Initiative de juristes, chercheurs, universitaires, ONG, acteurs de l’écosystème numérique et personnalités publiques, l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques est né de cette importance et de l’urgence d’une réelle gouvernance des données, protectrice à la fois des droits des individus (citoyens, consommateurs), et de ceux des entreprises et organisations.



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