La quatrième génération des droits et libertés fondamentaux a déjà vu le jour. Elle est en marche, à grands pas : celle des droits et libertés numériques ! Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas d’une lubie de juristes auxquels se seraient ralliés quelques techniciens, mais d’un impératif catégorique au fondement du nouveau monde qui vient. Concilier avec discernement la préservation des droits et libertés fondamentaux avec l’utilisation des technologies pour lutter contre la crise sanitaire, voilà ce qui doit nous guider, être et demeurer notre objectif sur le long terme.
Depuis plusieurs semaines, notre Institut contribue au débat public et à cet objectif. Par ailleurs, il n’a de cesse, confronté à une profusion d’opinions parfois hâtives, tantôt exagérément alarmistes, tantôt naïves car peu au fait des réalités technologiques, de veiller à ce que les vraies questions soient posées.
Les confusions sont telles que beaucoup se focalisent sur les avantages et les inconvénients du traçage alors même que le protocole ROBERT (ROBust and privacy-presERving proximity Tracing), auquel travaille l’Inria, et sur lequel s’appuiera l’application “Stop Covid”, ne permet et ne suppose aucun traçage réel de l’individu. Pareillement, d’un point de vue juridique, les notions de volontariat et de consentement sont très différentes ainsi que l’a souligné très justement le Comité européen de la Protection des Données dans son avis du 15 mars dernier. Il est possible en effet d’être volontaire sans pour autant mesurer ou avoir réfléchi pleinement à l’étendue du consentement que l’on donne en s’engageant, d’où le choix par le gouvernement du volontariat.
Mais là encore, évitons de nous tromper d’enjeu en nous focalisant sur ce qui, en réalité, n’est pas l’essentiel aujourd’hui : au-delà du choix de la technologie retenue pour accompagner le déconfinement des français, saisissez l’occasion de ce vote, dans un cadre juridique d’exception, pour consacrer la reconnaissance de nouvelles libertés publiques, particulièrement nécessaires à notre temps, et valables au-delà de notre crise actuelle ou de l’application “Stop Covid”1 .
C’est pourquoi nous vous proposons, à l’occasion de ce vote historique, de consacrer une nouvelle déclinaison de la liberté fondamentale d’aller et venir : celle de se déplacer sans traçage numérique.
Nous croyons qu’il s’agit d’une occasion historique pour le Parlement français de proclamer, dès aujourd’hui et pour l’avenir, une liberté d’aller et venir sans être enchaîné à notre smartphone ou à tout autre support numérique, par exemple de type bracelet connecté, ces nouvelles formes de lien qui, tout à la fois, nous libèrent et nous enferment.
Même si le préalable du volontariat a été fort heureusement préféré pour l’utilisation de l’application gouvernementale à celui du consentement, toujours exposé à un risque de détournement, nous vous demandons d’aller au-delà et de consacrer la liberté de circuler sans traçage de nos déplacements individuels comme fondement premier de la société numérique que nous appelons de nos vœux et prérequis indispensable au déploiement de l’application “Stop Covid”. Consacrer cette liberté aura également une autre incidence forte quant aux libertés individuelles : celle d’éviter les questions des durées de conservation des données issues de ce traçage et de leur exploitation ultérieure à d’autres fins et pour d’autres générations.
Ce principe doit pouvoir s’appliquer dès à présent à la gouvernance de l’application “Stop Covid” afin que le monde qui vient ne soit pas ce mal qui vient .
Conscient de l’importance de la gouvernance de cette application dans notre sortie de crise et dans la préparation de notre monde numérique futur, l’Institut iDFRights proposera dans les tous prochains jours une proposition consacrée aux principes républicains et à l’innovation juridique qui doivent s’appliquer à cette gouvernance.
Jean-Marie Cavada, Me Laurent Vidal, Thomas Saint-Aubin et François Desnoyers,
Co-fondateurs de l’ iDFRights
27 Avril 2020