21 juillet 2021
Les éditeurs de presse évincés des accords séparés passés par Google ont permis à l’Autorité de la concurrence de condamner l’agrégateur et d’imposer la négociation collective. Un organisme de gestion collectif des droits voisins récemment créé à cette fin devrait être présidé par Jean-Marie Cavada, ex-eurodéputé pas franchement tendre avec les Gafam
Google ne pourra plus négocier directement avec tel ou tel éditeur de presse en lui accordant, en fonction de sa puissance commerciale et politique, des rémunérations différentes. La décision de l’Autorité de la concurrence (ADLC) du 7 juillet qui condamne la plateforme à payer 500 millions d’amendes et 300 000 euros par jour de retard pour non-respect du « droit voisin » va l’en dissuader.
Ce terme hermétique au grand public signifie seulement que les auteurs, artistes, interprètes et producteurs ont droit à une rémunération quand l’œuvre à laquelle ils ont participé est diffusée à la télévision ou sur Internet. La loi française le reconnaît et une directive européenne de mars 2019 l’impose aux Gafam, sigle qui désigne l’ensemble des géants du web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. L’Australie s’est aussi inscrite dans ce combat en adoptant une loi qui oblige Google et Facebook à verser une rémunération quand ces réseaux diffusent des contenus australiens.
Google avait assorti ce respect du droit à des partenariats commerciaux : les créateurs et les producteurs d’une œuvre pouvaient être rémunérés si les éditeurs souscrivaient aux nouveaux services de Google, comme, par exemple, NewsShowcase, un outil fourni aux médias pour mettre en avant des articles à forte valeur ajoutée. Il s’agissait donc de fait d’un détournement du droit.
Le géant de Mountain View n’aurait peut-être pas agi ainsi s’il n’avait pas réussi à fragmenter le marché français en négociant des accords séparés avec des quotidiens nationaux comme Le Monde, L’Obs, Le Figaro et Libération où de telles clauses auraient été insérées. Selon l’ALDC,
« Google s’est servi de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste pour imposer, au cours des négociations avec les éditeurs et les agences de presse, le recours à certains de ses services ».
FORT AVEC LES FAIBLES
Comme les mastodontes, Google n’a pas respecté ses partenaires. Les grands ont été traités comme des grands et les petits comme des petits. Le magazine L’Express a ainsi précisé à l’Autorité de la concurrence que « Google ne nous a pas communiqué de formules, ni de données à l‘appui de sa proposition. Google nous a indiqués qu’il disposait d’une enveloppe globale ». De son côté, Libération a déclaré « n’avoir pas obtenu d’éléments sur la construction de sa rémunération quoique nous les ayons demandés. Nous n’avons pas non plus l’idée de la valorisation qu’a fait Google pour l’utilisation de nos droits voisins ».
Diviser pour mieux régner, comme aurait dit Machiavel. Car Google a ensuite signé un accord de coopération très général et non contraignant avec l’Alliance de la presse d’information et générale (Apig) qui rassemble 283 titres de presse, essentiellement des quotidiens départementaux et nationaux. Les éditeurs de presse ne faisant pas partie de l’Apig comme la presse magazine, les magazines féminins, les agences de presse et le monde de l’image ont été laissés de côté. Pourtant, selon les propres évaluations de Google, les revenus commerciaux que cette firme perçoit sur ces éditeurs et agences de presse exclus de l’accord sont supérieurs à ceux collectés de la part des signataires.
La présidente de l’ADLC, Isabelle de Silva, confirme ces faits. « Google a restreint sans justification le champ de la négociation, en refusant d’y intégrer les contenus des agences de presse repris par des publications, images par exemple, et en écartant l’ensemble de la presse non IPG [information politique et générale] de la discussion presse d’information politique et générale », explique-t-elle.
« NE RIEN LÂCHER »
Selon l’ADLC, Google s’était appuyé sur une interprétation fallacieuse du Code de la propriété intellectuelle pour imposer cet ostracisme. Cette succession d’événements a convaincu les exclus, comme le Syndicat des éditeurs de la presse magazine et l’AFP, de déposer une plainte en novembre 2019 devant l’ADLC. L’Apig s’est ensuite jointe au mouvement en saisissant cette institution.
L’ADLC aurait pu s’autosaisir, le ministère de l’Économie également. Mais tout laisse penser, selon les observateurs, que le gouvernement n’a pas voulu s’immiscer dans le monde de la presse. Des éditeurs puissants comme Le Monde et Le Figaro avaient signé tandis que d’autres comme Le Point, Elle ou Marianne ne l’avaient pas fait.
Après cette saisine, les tensions ont atteint leur comble entre Google et les initiateurs de la plainte. La plateforme aurait même proposé aux magazines instigateurs de la plainte de recevoir un versement exceptionnel d’un million d’euros s’ils la retiraient ! Comme d’autres, Le Point n’a pas cédé et affirme qu’« il ne faut rien lâcher par rapport aux plates-formes ! »
Ironie de l’histoire, d’après l’ADLC, les titres de presse qui étaient allés à Canossa pourront quand même « demander une résiliation ou une modification de leur contrat. Tous ceux qui auront passé des accords séparés pourront invoquer cette décision ». Une déclaration qui laisse vraiment penser qu’ils n’ont pas véritablement obtenu gain de cause en signant avec le diable.