30 août 2021
Le président du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne prévient qu’il veillera à l’équité des droits voisins entre les titres de presse
Extraits de la série de podcasts ‘Presse, Gafa, et droits voisins’, réalisée en association avec Le Nouvel Economiste. Interview menée par Jean-Marie Cavada
Jean-Marie Cavada – Les relations entre la presse et les industries numériques évoluent partout à travers le monde et spécifiquement en Europe. En 2019, le Parlement européen, sur la proposition de la Commission européenne, a voté une directive aussitôt transposée en France dans notre droit national. Cette loi donne à la presse les droits voisins du droit d’auteur et des instruments juridiques pour un juste paiement de leurs contenus. Naturellement, les industries numériques qui doivent payer ne se sont pas précipitées. Il y a d’ailleurs eu en France deux injonctions extrêmement sérieuses devant l’Autorité française de la concurrence.
Le texte de la Commission européenne votée par le Parlement fait des recommandations pour faciliter la négociation, la collecte et la répartition des ressources obtenues auprès des industries numériques. Quel instrument recommande la directive ? Un OGC, c’est-à-dire un organisme de gestion collective.
Des négociations entre journaux nationaux et régionaux et plateformes ont d’abord eu lieu. Puis dans un deuxième temps, avec le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) et le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil). Sur ce dossier, les agences de presse, dont l’AFP, sont également aux aguets.
Pour analyser les rapports entre une presse en pleine évolution et les plateformes numériques notre cinquième invité est Laurent Mauriac, coprésident du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne. Qu’est exactement le Spiil ?
Laurent Mauriac – Le Spiil est un syndicat qui représente des entreprises qui ont comme particularité principale d’être indépendantes, c’est-à-dire de ne pas avoir d’actionnaire majoritaire extérieur au secteur de la presse. Nous considérons qu’une entreprise est indépendante à partir du moment où ses intérêts sont alignés avec ceux de ses actionnaires.
“Le Spiil est un syndicat qui représente des entreprises qui ont comme particularité principale d’être indépendantes, c’est-à-dire de ne pas avoir d’actionnaire majoritaire extérieur au secteur de la presse”
J-M.C. La majorité des équipes des membres de votre syndicat sont en réalité des journalistes…
L.M. Pour beaucoup, mais pas seulement. Nous comptons des grandes entreprises type Mediapart ou UFC-Que choisir, mais aussi des plus petites. Une de nos spécificités est d’accueillir chaque année plusieurs dizaines de nouveaux membres. Chez ces éditeurs naissants qui ont vocation à grandir, il est vrai que le chef d’entreprise est souvent lui-même aussi journaliste.
J-M.C. Il est intéressant de savoir la diversité des titres et la vocation de chacune de ces entreprises de presse. Vous parlez d’UFC-Que choisir, de Mediapart, qui sont en quelque sorte des lanceurs d’alerte. Racontez-nous cette diversité qui peuple ce syndicat d’une presse qui est très nouvelle.
L.M. Effectivement, notre syndicat est très varié. Nous regroupons à la fois de la presse généraliste et de la presse spécialisée, de la presse nationale et de la presse locale. Ces titres adoptent tout type de modèle économique. Certains sont basés sur l’abonnement, d’autres sur la publicité. De plus en plus, nous voyons apparaître des modèles nouveaux reposant sur des contributions financières volontaires des lecteurs, comme chez Reporterre, titre spécialisé dans l’environnement, ou Basta Mag.
J-M.C. Dans ce syndicat, certains membres sont-ils des sortes de coopératives ?
“Nous regroupons à la fois de la presse généraliste et de la presse spécialisée, de la presse nationale et de la presse locale. Ces titres adoptent tout type de modèle économique. Certains sont basés sur l’abonnement, d’autres sur la publicité”
L.M. Il y a plusieurs statuts. Nous avons des coopératives et des associations, mais le statut principal est celui de société.
Le combat de la presse en ligne pour la reconnaissance et l’équité
J-M.C. Dans ce kaléidoscope, quel est l’avenir de ce type de presse ? Quels sont les obstacles qu’elle a dû franchir et qui restent à surmonter pour être des acteurs majeurs du secteur ?
L.M. Quand le Spiil s’est créé il y a une douzaine d’années, la presse en ligne n’était pas reconnue. Il n’y avait pas de statut spécifique. La première étape franchie a donc été celle de notre reconnaissance par la loi à travers le statut de “service de presse en ligne” (Spel) en 2009-2010. Autre étape très importante : la fin du taux de TVA à 20% pour notre famille de presse, qui était assimilée à un service numérique type commerce électronique, et l’adoption du taux de 2,1% comme celui de la presse papier.
“Autre étape très importante : la fin du taux de TVA à 20% pour notre famille de presse, qui était assimilée à un service numérique type commerce électronique, et l’adoption du taux de 2,1% comme celui de la presse papier”
Il reste de nombreux sujets à améliorer, en particulier celui des aides qui vont majoritairement aux supports imprimés. Nous publions régulièrement un panorama des aides à la presse : 80 à 90% sont structurellement destinées aux journaux papier. De notre point de vue, cela crée des distorsions de concurrence entre la presse imprimée et la presse numérique.
Cette situation freine l’émergence de titres nouveaux à même de concurrencer les journaux existants. C’est particulièrement le cas en région où la presse écrite est souvent dans une situation de quasi-monopole. Le fondement des aides à la presse est le pluralisme ; or nous vivons encore dans une conception majoritairement tournée vers la préservation des titres existants et pas suffisamment vers l’émergence de nouveaux titres. La situation est encore très imparfaite, même s’il faut quand même reconnaître les progrès réalisés vers plus d’égalité.
J-M.C. L’émergence de ces entreprises de presse indépendantes et en ligne fait-elle encore face à des obstacles ? Vous en citiez quelques-uns, mais prendre position dans ce marché reste-t-il quelque chose de difficile ?
L.M. Le numérique lève un certain nombre d’obstacles en termes économiques. Il y a beaucoup moins de barrières à l’entrée que du temps où le papier était le seul médium pour la presse. Mais pour construire une entreprise viable et rentable – ce qui est la condition de l’indépendance – il y a effectivement beaucoup d’obstacles à franchir. La démarche doit être la plus professionnelle possible. C’est une des raisons d’être de notre syndicat. Nous défendons des valeurs et des combats, en particulier auprès des pouvoirs publics, mais nous sommes aussi au service de nos membres dans cette démarche de professionnalisation.
Une presse plus que jamais dépendante des plateformes
J-M.C. Entre cette économie classique de la presse connue depuis des décennies, et les moyens nouveaux de la mise en ligne de l’information, n’assistons-nous pas à un bouleversement de la réflexion sur la construction des modèles économiques ? Il n’y a plus de papier, plus d’impression, plus de distribution physique ni d’invendus à retourner et à payer. Au fond, la production est directement alignée vers le consommateur, ce qui simplifie beaucoup les coûts…
L.M. Tout cela est exact mais ce n’est pas suffisant pour devenir un média. Il faudra par exemple un budget marketing pour se faire connaître, ce qui nécessite d’engager des fonds et suppose des investissements sont souvent assez lourds. Depuis une dizaine d’années, les plateformes jouent un rôle de plus en plus important. Une forme de dépendance des médias vis-à-vis d’elles s’est créée. C’est problématique car les plateformes ne fonctionnent pas du tout comme les moyens de distribution de la presse imprimée traditionnelle. Elles sont régies par des algorithmes qui sont leur propriété et dont l’opacité est à peu près totale.
“Les plateformes jouent un rôle de plus en plus important. Une forme de dépendance des médias vis-à-vis d’elles s’est créée. C’est problématique car les plateformes sont régies par des algorithmes qui sont leur propriété et dont l’opacité est à peu près totale”
J-M.C. Au sujet des plateformes, quels sont aujourd’hui les principaux points de revendication à négocier pour la presse indépendante en ligne ?
L.M. Dans la presse papier, la loi Bichet donne une égalité de traitement vis-à-vis du système de distribution. Tout journal qui se crée doit être présent en kiosques. Nous réclamons une loi Bichet du numérique. La presse doit bénéficier d’une égalité de traitement par les plateformes. Tout titre doit profiter des mêmes conditions d’accès transparentes au fond et équitables.
J-M.C. Les supports sont différents mais les questions restent les mêmes. Il y a 20, 30 ou 50 ans, tout nouveau journal ou magazine – sauf s’il avait d’énormes moyens financiers – était dans le bas des rayons. C’est un peu le même problème aujourd’hui pour l’exposition d’un titre nouveau en ligne.
« Nous réclamons une loi Bichet du numérique. La presse doit bénéficier d’une égalité de traitement par les plateformes. Tout titre doit profiter des mêmes conditions d’accès »
L.M. Exactement. Certaines plateformes, en particulier Google, négocient des accords préférentiels avec des titres de leur choix. Il y a notamment un service qui s’appelle Suscribe with Google, proposé aux journaux type Le Monde, Libération ou autres. Ce service offre des avantages considérables, comme des promotions financées en partie par Google. Par exemple, un abonnement proposé à 1 euro par mois pendant les six premiers mois sera sponsorisé par Google. Pendant cette période, le journal encaisse l’intégralité du prix de l’abonnement tel qu’il sera fixé ultérieurement. Cette pratique introduit des distorsions de concurrence vis-à-vis des membres de notre syndicat. Je pense particulièrement au média Les Jours qui est un titre généraliste concurrent de la presse classique, mais qui ne bénéficie pas de ces avantages.
J-M.C. Dans les rapports avec les plateformes, vous pointez la problématique de la neutralité de l’exposition. Y a-t-il d’autres problèmes de fond qui doivent être mis sur la table des négociations ?
L.M. D’une manière générale, il faut retenir le manque de transparence des plateformes, en particulier des algorithmes. Nous considérons par exemple que la façon dont fonctionne Facebook est très dangereuse et préjudiciable au fonctionnement de la démocratie. Nous assistons à une sorte d’amplification de la rage totalement aux antipodes de l’information telle qu’elle doit être promue dans une démocratie.
“La façon dont fonctionne Facebook est très dangereuse et préjudiciable au fonctionnement de la démocratie. Nous assistons à une sorte d’amplification de la rage totalement aux antipodes de l’information telle qu’elle doit être promue dans une démocratie”
J-M.C. Vous pointez l’éthique de l’information classique et traditionnelle. Par opposition à ce qu’on a vu le 6 janvier avec l’assaut du Capitole, auquel Twitter a donné un grand coup de main, vous parlez de la fonction démocratique d’apaisement par la connaissance des faits et des opinions que vous voulez véhiculer et afficher d’une façon neutre dans l’exposition numérique.
L.M. Absolument. Vous résumez parfaitement le point.