Jean-Marie Cavada : « Face aux plateformes, la presse doit revenir à des lois du commerce normales » – Influencia
17 novembre 2021
Jean-Marie Cavada : « Face aux plateformes, la presse doit revenir à des lois du commerce normales » – Influencia

17 novembre 2021

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Au Parlement européen, Jean-Marie Cavada avait bataillé en faveur de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins, transposée en France en 2019. Aujourd’hui président de l’organisme de gestion collective des droits voisins de la presse, il est bien décidé à ce que les plateformes numériques respectent la loi et rémunèrent à leur juste valeur les contenus issus des groupes médias quand ils les distribuent.

INfluencia : vous présidez l’Organisme de gestion collective (OGC) des Droits Voisins de la Presse. De quoi s’agit-il ?

Jean-Marie Cavada : le droit voisin de la presse, qui est le voisin du droit d’auteur, rémunère les éditeurs pour la reprise de leurs contenus par les plateformes numériques. Ce n’était pas la principale préoccupation de la commission européenne mais, en tant que parlementaire européen, j’avais reçu beaucoup d’entreprises de presse et d’organisations professionnelles du secteur sur le sujet. Je me suis particulièrement investi dans le texte de la directive droit d’auteur qui a été bataillé, aménagé, puis voté en septembre 2018 et très rapidement transposé en France, ouvrant la voie au droit voisin dès juillet 2019. La rémunération des contenus des éditeurs n’est depuis plus soumise au gré-à-gré. C’est une loi qu’il convient d’appliquer ! L’organisme de gestion collective (OGC) des droits voisins de la presse (DVP), créé par plusieurs syndicats d’éditeurs de presse avec la Sacem, est le bras séculier de l’application de la loi. Il n’est plus temps de se prosterner devant la magie du numérique ! Les contenus qu’utilisent les plateformes correspondent aux investissements des entreprises de presse pour produire des contenus de valeur. Ils doivent être rémunérés en tant que tels lorsqu’elles les distribuent et en tirent profit.

Il n’est plus temps de se prosterner devant la magie du numérique mais de rémunérer les investissements des entreprises de presse !

IN : quelle est la feuille de route de l’OGC pour faire appliquer la loi et défendre les droits des éditeurs ?

JM.C. : la constitution de l’organisme a été annoncée en juin 2021 et on m’a demandé de le présider en juillet. Son assemblée générale constitutive a eu lieu fin octobre et son premier conseil d’administration s’est tenu le 9 novembre. Tous les éléments sont désormais en place pour travailler. L’OGC a quatre fonctions. Il s’agit d’abord d’évaluer la prédation ou le manque à gagner pour les éditeurs, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. Jusqu’à présent, les plateformes fixent le prix auquel elles acceptent de rémunérer les contenus qu’elles diffusent. Quand on achète une voiture, ce n’est pas l’acheteur qui en fixe le prix ! Il faut aussi définir notre doctrine de négociation des droits voisins, les collecter puis répartir les sommes dues entre les différentes familles de presse. Nous représentons nos mandants pour faire appliquer la loi et nous attendons de l’Etat qu’il la défende également car il s’agit d’un principe général. Il faut simplement rétablir des lois du commerce normales. Actuellement, les négociations ne sont ni normales, ni équilibrées.

IN : il est question du droit voisin de la presse et, pourtant, plusieurs médias audiovisuels (Radio France, France Télévisions, TF1, M6, le Geste…) et des agences de presse ont rejoint l’OGC…

JM.C. : dans la mutation générale vers le numérique, les médias audiovisuels ont été amenés à proposer des contenus écrits sur leurs supports digitaux. Ils se situent de fait quelque part entre l’audiovisuel et la presse écrite. Ces entreprises de médias qui dépensent de l’argent pour aller chercher de l’information, l’écrire et la distribuer doivent pouvoir revendiquer une juste rémunération de leurs contenus quand ceux-ci sont repris par les plateformes.

IN : à côté de cette démarche collective, certains groupes et fédérations de presse ont choisi de conclure des accords particuliers avec les plateformes. Cela ne fragilise-t-il pas la démarche ?

JM.C. : dès mon arrivée, je me suis attelé à créer un climat favorable avec l’Alliance de la presse d’information générale (cette fédération, qui représente notamment la presse quotidienne nationale et régionale a signé des accords de licence sur le droit voisin avec Google début 2021 puis en octobre avec Facebook, ndlr). Des groupes ont négocié directement avec les plateformes. Cela crée une certaine dispersion qui nuit aux négociations. Le premier travail consiste donc à s’unir. Tous ceux qui veulent nous rejoindre sont les bienvenus.

L’Europe a construit le premier modèle de régulation du numérique et lancé un mouvement de fond

IN : l’Europe est le premier marché solvable au monde. Est-ce un argument à même de changer les pratiques de ces plateformes internationales qui ne semblent connaître que le rapport de force, malgré une amende record de 500 M€ dans le cas de Google ?

JM.C. : c’est en effet un des arguments pour expliquer qu’ils vont devoir partager de l’argent… On n’y arrivera peut-être pas du premier coup car, pendant 20 ans, nous avons dû composer avec notre retard technologique, qui est en train de se combler. L’Europe a construit le premier modèle de régulation du numérique, dès 2018 avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et demain avec le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Aux Etats-Unis, beaucoup de responsables anti-monopoles sont à la tête d’institutions de régulation et à la Maison blanche. Un peu partout, en Californie, au Canada, en Australie… on voit se développer un mouvement de régulation des grandes plateformes et des pratiques du numérique. C’est un élan de fond que l’Europe a insufflé.

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