16 mai 2022
Dans un jugement relativement succinct, la cour rejette la demande d’annulation de l’article 17 de la directive Droit d’auteur en tout ou partie portée par la Pologne. La Cour confirme que l’article 17 tel que pensé par les législateurs respecte un équilibre entre la liberté d’expression d’une part et la protection des droits d’auteur, d’autre part.
L’article 17(4) constitue une limitation au droit fondamental de la liberté d’expression et d’information, mais cette limitation est justifiée, car l’article 17 a été entouré de garanties appropriées en conformité avec l’article 52(1) de la Charte des droits fondamentaux.
D’ores et déjà, il convient de dire que ce jugement est différent des jugements sur des questions préjudicielles que nous avons l’habitude de voir. Ici il s’agit avant tout d’apprécier la conformité d’un article de loi au regard des droits fondamentaux de la charte des droits fondamentaux européenne. Cela modifie l’approche de la Cour en ce que le juge se questionne tout d’abord sur la possible limitation d’un droit fondamental, et si oui, si celle-ci peut être justifiée. De ce fait, la rhétorique et les conclusions de la Cour sont également articulées différemment.
La cour conclut que l’article 17(4) qui est un régime de responsabilité limitée est une limitation de l’exercice du droit à la liberté d’information et d’expression des utilisateurs de services d’OCSSPs (services soumis au droit d’auteur dans la Directive droit d’auteur). Cependant la Cour conclut que cette limitation est justifiée eu égard aux sauvegardes mises en place par les législateurs dans l’article 17 :
• Bien que l’article 17(4) ne précise pas de mesures concrètes à adopter pour les fournisseurs pour garantir l’indisponibilité de contenus protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droit ont fourni des informations pertinentes et nécessaires ou prévenir la future récurrence de contenus via une notification dument motivée, la Cour considère que l’obligation des OCSSPs est une obligation de moyen, de meilleurs efforts qui puissent s’adapter aux circonstances (type de plateforme et de contenus). Cela n’est pas contraire à la liberté d’expression et consacre la liberté contractuelle des plateformes (arrêt Telekabel).
• L’article 17(4) doit s’apprécier au regard de l’article 17(7) – exceptions et limitations au droit d’auteur, ainsi qu’à l’article 17(9) qui imposent une limite claire aux mesures de filtrage et blocage en excluant le blocage des contenus licites.
• L’article 17 ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance
• Garanties de nature procédurales avec des dispositifs de traitement des plaintes et de recours rapides et efficaces.
Quelques éléments importants du jugement :
• L’établissement de l’article 17(4) comme un régime de responsabilité spécifique qui ne porte pas atteinte à la liberté contractuelle des titulaires de droits.
• Le recours extensif à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur la liberté d’expression : ce jugement est différent des prononcés sur les questions jurisprudentielles, cela n’est pas étonnant. Cependant, cela donne un point d’ancrage dans la jurisprudence européenne pour les futures affaires liées à l’article 17.
• La Cour place les exceptions et limitations au droit d’auteur à l’article 17(7) comme des droits des utilisateurs. Cette précision sera particulièrement délétère pour les transpositions en droit national et les futures affaires de justice qui ne manqueront pas de survenir dans les prochaines années.
• La confirmation que les outils de reconnaissance et de retraits automatisés des contenus ne sont pas interdits, mais ne doivent cependant pas bloquer des contenus licites lors du téléversement. Une certaine partie des observateurs semblent interpréter cette ceci comme requérant des mécanismes de garanties ex ante, ce que ne dit pas le jugement.
• La consécration de la jurisprudence « YouTube » par rapport à l’article 17 – notamment en ce qui concerne les notifications : la Cour réintroduit (paragraphe 91) les conclusions de l’affaire « YouTube » et « Cyando » : une notification doit permettre sans fournisseur de services de partage de contenus en ligne de s’assurer, sans examen juridique approfondi, du caractère illicite de la communication du contenu concerné et de la compatibilité d’un éventuel retrait avec la liberté d’expression. Donc pas de référence au retrait de contenus manifestement illégaux (conclusions de l’AG).
En pratique, ce que signifie le jugement
Il faut tout de même souligner que depuis quelques mois, le gouvernement polonais, notamment depuis le changement du Ministre compétent, n’était plus aussi arcbouté sur son action en annulation.
La Cour vient de donner une réponse qui va dans le bon sens en ce qui concerne les auteurs et les sociétés de gestion collectives européennes puisque la elle indique « l’obligation pour les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, de contrôler les contenus que des utilisateurs souhaitent téléverser sur leurs plateformes préalablement à leur diffusion au public est accompagnée des garanties nécessaires pour assurer sa compatibilité avec la liberté d’expression et d’information ».
La Cour se prononce de manière extrêmement vague sur la compatibilité de l’article 17. Ce qui donne bien peu de lignes directrices aux états membres vis-à-vis de leur transposition. Il reste à ce jour 11 EM qui n’ont pas transposé l’article 17. Cependant les transpositions doivent respecter les garde-fous ci-dessus tels qu’interprétés par la Cour. Des questions viendront donc se poser quant aux transpositions françaises et allemandes qui sont diamétralement opposées.
De même, la Cour ne confère aucune force aux lignes directrices de la Commission et n’en reprend pas les éléments. Et pourtant la Commission européenne avait tenté à l’époque dans ses lignes directrices, de vider l’article 17 de sa substance en soutenant qu’il mettait à mal la liberté d’expression. Cette tentative bureaucratique avait soulevé beaucoup de protestations de la part de ceux qui estimaient que la Commission outrepassait ses pouvoirs. Notre Institut avait d’ailleurs publié une lettre ouverte à ce sujet. Elle considérait alors que le recours polonais avait toute chance d’aboutir. Fort heureusement dorénavant, on va pouvoir s’en tenir au texte.
Cette décision peut avoir un impact sur le DSA, notamment en ce qui concerne le mécanisme de notification et de retrait, même si la Cour se contente de confirmer la jurisprudence « You Tube ». En effet, les arguments soutenus par la Commission ne tiennent plus dans la mesure où la Cour l’affirme : il n’y a aucune entrave à la liberté d’expression, précisant :
« Il convient de constater, tout d’abord, que la limitation de l’exercice du droit de la liberté d’expression et d’information des utilisateurs de services de partage de contenus en ligne, visée au point 69 du présent arrêt, REPOND AU BESOIN DE PROTECTION DES DROITS ET LIBERTES D’AUTRUI, au sens de l’article 52 paragraphe 1 de la Charte, à savoir en l’occurrence le BESOIN DE PROTECTION DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE GARANTIE A l’ARTICLE 17, paragraphe 2 de la Charte ». (paragraphe 82).
Colette Bouckaert
Secrétaire Générale iDFrights