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Déception de tout le secteur créatif et de l’innovation, de la propriété intellectuelle et industrielle françaises et européennes et des associations qui militent en Europe pour la sécurité des utilisateurs lors de leurs achats en ligne, suite au vote sur le Digital Service Act (DSA) hier soir au Parlement européen.
Alors que le Président Macron dans son discours inaugurant la Présidence française de l’UE à Strasbourg devant les députés européens a estimé que « l’Europe avait trois grands défis devant elle : l’écologie, le numérique et la sécurité » sa volonté « d’instaurer un cadre juridique ambitieux, efficace et proportionné applicable à la modération des contenus par les plateformes » vient de « prendre l’eau » après le vote en plénière.
La commission IMCO avait déjà adopté une position qui affaiblissait considérablement le texte proposé par la Commission européenne. Par ailleurs, tous les groupes politiques étaient divisés sur le projet de la rapporteure socialiste Christel Schaldemose, qui a écarté systématiquement les dispositions inclus dans les avis de la Commission des Affaires Juridiques et de celle de la Culture qui réclamaient plus de régulation. Malgré l’implication d’Axel Voss (coordinateur PPE en Juri), de Geoffroy Didier (rapporteur fictif du texte en Juri), de Sabine Verheyen (Présidente PPE de la commission Culture) de Tomasz Frankowski (membre PPE de la Commission culture) et d’Emmanuel Maurel de la Gauche, et l’appui lors du vote en plénière de plusieurs délégations dont la délégation italienne, espagnole et française du groupe Renaissance, ce futur règlement souhaité également par le Commissaire Breton comme l’outil suprême de la lutte contre les contenus illégaux ne contiendra que de timides avancées et pourrait être un recul inquiétant par rapport à la directive e-commerce.
Comme l’Institut l’a souvent dit, écrit et repris dans plusieurs mails adressés à l’ensemble des parlementaires européens, l’article 14 de la proposition de la Commission censée traiter du retrait rapide des contenus illégaux et préjudiciables (discours haineux, contrefaçon, publicité ciblée, infox) était la pierre angulaire du texte. Le vote en commission IMCO d’un nouveau paragraphe 14.3a dont le maintien vient d’être voté en plénière malgré nos alertes, met fin au « Notice and put down » (notification et retrait) disposition fondamentale pour lutter contre les contenus illégaux pour le remplacer par un « notice and stay up » (notification et maintien). Ceci va conduire à permettre à un contenu illégal de rester en ligne après sa notification pendant toute la longue durée de l’évaluation de l’illégalité de ces contenus. Par conséquent, les dégâts dans l’opinion seront faits.
La sécurité et la protection des utilisateurs et des consommateurs mais surtout des jeunes publics sont également mises à mal par ce texte, car le Parlement européen a rejeté l’amendement 484 initié et co-signé par plusieurs députés de plusieurs groupes politiques qui proposait un nouveau paragraphe à l’article 14 (14§6) lequel demandait la mise en place d’un mécanisme prévoyant d’éviter la réapparition ultérieure (effet miroir) d’un contenu illicite ou malveillant sur une plateforme.
C’est donc très préoccupant de devoir conclure que ces points substantiels qui auraient dû fédérer l’ensemble des députés européens dont chaque Etat membre se dit par ailleurs très impliqué voire pointilleux sur toutes les questions de transparence, de responsabilité et d’éthique concernant les plateformes dans le débat sur le numérique, aient pu être aussi majoritairement évacués.
La volonté de la Présidence française de mener à son terme les négociations de trilogue sous son mandat, est louable, mais ne se présente pas sous les meilleurs auspices. La position adoptée par le Conseil sur le DSA est très éloignée de celle qui vient d’être prise par le Parlement. L’absence des deux dispositions développées ci-dessus, auront donc beaucoup de mal revenir sous la forme de compromis lors des discussions inter-institutionnelles. En conclusion, hélas, le futur règlement risque de perdre toute l’efficacité qu’on était en droit d’attendre, de ne pas être à la hauteur de ses ambitions et de laisser une fois encore la part belle aux plateformes. Notre inquiétude est d’autant plus grande que la question de la régulation des contenus ne sera pas réouverte avant longtemps dans les enceintes européennes. La faute majeure en revient aux responsables du Parlement qui ont confié à la Commission IMCO, dont l’idéologie est le développement à tout prix de l’économie, une question morale fondamentale que plusieurs dirigeants européens avaient résumée : « tout ce qui est interdit dans la vie réelle doit l’être dans l’espace virtuel ». Donc, la diffusion de «fakes news », le harcèlement, le négationnisme, les stigmatisations et jusques aux incitations à la sédition, comme on l’a vu le 6 janvier 2021 à Washington lors de l’attaque contre le Congrès américain, auront encore de beaux jours devant eux.
Jean-Marie Cavada
Président iDFrights