La décision du conseil d’État : le paradoxe, remise en cause de la hiérarchie des normes … tout en disant qu’il faut les préserver la primaute du droit de l’union!
26 avril 2021
La décision du conseil d’État : le paradoxe, remise en cause de la hiérarchie des normes … tout en disant qu’il faut les préserver la primaute du droit de l’union!

26 avril 2021

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Dans l’affaire concernant la conservation des « données de connexion » (IP, localisation etc), un certain nombre d’opérateurs privés et ONG ont déféré au Conseil d’Etat une série de dispositions règlementaires. Dans le cours de la procédure le Premier Ministre avait sollicité du Conseil d’Etat qu’il écarte la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne et notamment l’arrêt du 6 octobre dernier également commenté par notre Institut (voir notre article précédent signé par Benjamin Martin-Tardivat et Thomas Kieffer).
Le Conseil d’Etat a rendu sa décision le 21 avril 2021

Rien n’est exprimé clairement dans cet arrêt, sauf à vouloir satisfaire toutes les parties.

L’analyse du texte en profondeur va demander un peu de temps, mais l’on peut d’ores et déjà assurer deux choses principielles :

Le Conseil d’Etat refuse de suivre le Gouvernement français et n’écarte pas l’arrêt du 6 octobre 2020 de la CJUE (Cour de Justice de L’Union Européenne), puisqu’il rappelle toutes les dispositions de la jurisprudence de la Cour dans l’exposé des faits. Il apporte cependant des nuances dans l’interprétation, eu égard à la situation particulière de la France, très touchée ces dernières années par les attentats et le terrorisme.

Si l’on regarde de plus près les paragraphes 4-5 et 6 de l’arrêt qui font référence à l’article 88-1 de la Constitution française, lequel édicte, selon l’interprétation du Conseil d’Etat, que « les principes constitutionnels prévalent sur la jurisprudence de la Cour de Justice » … il est évident que cela introduit un doute sur la hiérarchie des normes malgré l’affirmation du Conseil d’Etat de respecter le principe de primauté du droit communautaire. Dans ces conditions, cette décision permettrait paradoxalement d’écarter les jurisprudences de la Cour européenne. 

Or si l’on relit notamment l’article 55 de notre Constitution sur la hiérarchie des normes, il y est bien stipulé que les Traités européens prévalent sur la loi nationale, ce qui, à tout le moins, ne semble plus aller de soi avec l’interprétation que le Conseil d’Etat vient de faire de l’article 88-1.

L’IDFRights, très impliqué sur ces questions essentielles pour notre démocratie, considère que la préservation des droits fondamentaux, tels que repris dans cet arrêt du Conseil d’Etat, ont été réduits malheureusement à leur plus simple expression. 

Il faut néanmoins reconnaître au Conseil d’Etat la volonté d’avoir essayé de rechercher un équilibre, certes très fragile, entre l’intérêt particulier et l’intérêt collectif.  Il a voulu concilier la préservation des Droits fondamentaux et les exigences de la sécurité publique. L’Institut souligne par ailleurs que la sécurité publique n’est pas une compétence européenne et que force est de reconnaître que les raisons invoquées et en premier lieu la lutte contre le terrorisme, sont susceptibles de prévaloir sur droits fondamentaux pour assurer la sécurité nationale.

Il est important de noter malgré tout que le Conseil d’Etat impose au législateur, même pour ces raisons impérieuses, de les justifier chaque année. Ce n’est pas un blanc-seing qui est donné au Gouvernement, d’autant que tout ceci restera soumis à l’appréciation du juge pénal.

C’est donc un équilibre très délicat que le Conseil d’Etat a mis en place. 

Mais effectivement la décision comporte donc bien sûr une contradiction très gênante en rappelant l’obligation de respecter la hiérarchie des Normes tout en expliquant que l’on peut les contourner, mais en insistant sur la nécessité de se conformer à la jurisprudence de la Cour de Luxembourg

Nous allons faire une analyse de l’arrêt de manière plus complète dans les semaines à venir afin d’évaluer ce que cet arrêt pourrait comporter comme dispositions critiquables du point de vue des droits fondamentaux et d’examiner toutes les conséquences pour la régulation sur cette problématique de la protection des données.

Jean-Pierre Spitzer

Président M. Jean-Pierre Spitzer, Avocat à la Cour, Ancien referendaire à la CJUE, Directeur scientifique de l’Union des Avocats Européens ( UAE ), Conseiller juridique du MEF.
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