Pitié pour les Droits de l’Homme !
20 novembre 2020
Pitié pour les Droits de l’Homme !

20 novembre 2020

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Haro sur les Droits de l’homme !… 

L’Etat de droit menacerait notre souveraineté « populaire » selon Marcel Gauchet, « nationale » pour d’autres… Depuis l’horrible assassinat de Samuel Paty, ce genre d’affirmations fleurissent. 

Mais avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, rappelons sa naissance. 

L’indépendance américaine et la révolution française, toutes deux filles des Lumières et de la raison, ont accouché de droits fondamentaux, protecteurs de libertés individuelles pour lutter contre, d’une part les inégalités en droit de naissance, et d’autre part les abus de l’occupant colonial. 

L’installation définitive, (à ce jour ! …) de la République en France a donné lieu à la fin du XIXème siècle, à l’instauration des grandes libertés collectives (associations, syndicats etc …) ainsi que de la presse. 

L’après Deuxième Guerre mondiale a re-proclamé les libertés fondamentales de chaque être humain au nom du « plus jamais cela » c’est-à-dire pour empêcher toute nouvelle barbarie. 

Par ailleurs, l’Histoire nous enseigne qu’un droit proclamé reste lettre morte – ou à peu près – si son application n’est pas assurée par un juge indépendant. 

La France n’a jamais aimé ses juges – pas seulement la République, puisque les rois ne supportaient pas davantage les parlements- et n’a donc pas instauré un juge spécifique protecteur des droits fondamentaux. Ce qui pouvait permettre (notamment lors de la Restauration, du second Empire ou de l’Etat français) de laisser ces droits fondamentaux sans application et complétement bafoués ! 

Nos grands hommes de l’après-guerre – Messieurs Cassin et Teitgen – l’avaient parfaitement compris et se sont battus non seulement pour la déclaration universelle des Droits de l’Homme et la déclaration européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, mais également pour créer une Justice supranationale chargée de défendre les droits ainsi proclamés contre un Etat qui ne les respecterait pas.

Alors, pouvons-nous, sous quelque prétexte que ce soit, jeter purement et simplement cet apport, qui plus est, si extraordinairement français ? 

Une telle attitude reviendrait à pratiquer comme l’écrivait Adolphe Touffait au début des années 1980 « l’abandon génital » *.

Assurément ces textes et les institutions judiciaires en charge de leur application sont et doivent rester une des plus belles œuvres humaines. 

Cependant, une institution n’est pas exempte de critiques et les adversaires des droits fondamentaux et de notre mode de vie peuvent faire de l’entrisme afin d’essayer de dévoyer ces droits fondamentaux. 

Dès lors que tous ceux qui, à juste titre, se voient garantir leurs droits – notamment tous les minoritaires, que ce soit pour des questions de couleur de peau ou de religion – exigent, au nom des droits fondamentaux, que ceux appartenant à la majorité en fussent privés, tout le système échafaudé depuis plus de deux siècles sera dévoyé. 

Alors que faire pour contrer cette dérive ? 

Que faire faire pour parer à ces offensives incontestablement réelles ? 

En réponse à ces questions, mon regretté maître, le Professeur Roger Michel Chevallier répondait toujours par une phrase, selon lui, de Lao Tseu : « Respecter les compétences ». 

Alors dans ce domaine des droits fondamentaux, il convient de rappeler que : 

  • Sur le plan national, c’est l’égalité en droit qui a été instaurée en 1789, à titre d’illustration on peut citer l’exemple des juifs selon Clermont Tonnerre : pour lui les juifs doivent, chacun à titre individuel être citoyen à part entière (mais non plus exclue de la citée comme dans l’ancien régime). En revanche, la communauté juive n’a pas de place dans la République ; 
  • Sur le plan international, ce sont les Etats qui, en se regroupant, ont permis par délégation de compétences – appelée également, quoiqu’improprement, délégation de souveraineté (mais cela « parle » ! …) – à des organisations internationales, de  

 « légiférer » dans ce domaine. Ces textes ont ensuite été ratifiés donc acceptés par les Etats. 

Ainsi, les juges mis en place pour interpréter et appliquer ces textes, en vue d’en assurer le respect, doivent tenir compte de cette naissance si particulière de ceux – ci, qu’il s’agisse de la déclaration de 1789, de la CEDH ou de la Charte, notamment en ce qui concerne plus précisément notre Europe. 

Dès lors, il convient d’une part de revenir à la stricte déclaration de 1789. D‘autre part, pour la CEDH et la Charte, comme il est de règle en la matière, s’agissant de délégations de compétences, ces textes ne peuvent être interprétés que de manière restrictive. En l’espèce, la méthode d’interprétation chère à la Cour de justice de l’Union européenne – l’interprétation de finalité, appelée également interprétation téléologique – doit être de règle. La finalité consistant à rester fidèle à l’esprit de ces textes et aux motifs poursuivis par leurs auteurs. 

Rien n’empêche les Etats membres du Conseil de l’Europe, et/ou de l’Union européenne de rappeler fermement et leur attachement aux Droits fondamentaux et leurs compétences originelles ici déléguées. Ce qui devrait conduire à une interprétation tenant compte de la volonté des auteurs des textes et des motivations à la base de ceux-ci. 

C’est d’ailleurs ce que la Cour de Karlsruhe a rappelé cet été même si les circonstances dans lesquelles cet arrêt a été rendu (l’augmentation hors traité des pouvoirs de la BCE) ne mettait pas en cause notre équilibre sociétal. 

Ainsi, serait assuré l’équilibre – pas encore anéanti – de notre modèle civilisationnel qui doit autant assurer la défense des intérêts collectifs si – et seulement si ! -la sécurité publique est gravement menacée, que les Droits de chaque citoyen. 

L’héritage des lumières nous a permis d’échafauder un système de droits protecteurs contre les inégalités de droit et contre les barbaries. C’est à cette « lumière » (si j’ose dire !) que les droits fondamentaux devront être interprétés et appliqués par les juges.  

Ainsi, il n’y aura plus de raisons de les mettre en cause et les critiques actuelles n’auront plus lieu d’être.

* Adolphe Touffait a prononcé cette phrase lorsqu’il était juge à la Cour de Justice de l’Union européenne. Il visait à l’époque – juste avant le virage mitterandien de 1983 – les tendances lourdes anti-européenne alors que la CECA et la CEE devaient tant à la France, c’est-à-dire à R. Schuman et J. Monnet.

Jean-Pierre SPITZER

Avocat au Barreau de Paris,
Membre de l’institut IDFRights pour les droits fondamentaux numériques,
Membre du bureau du Mouvement Européen France,
Directeur scientifique de l’Union des Avocats Européens (UAE)

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