Pour un DFA : Digital Fighting Act ! par Thomas Fauré, Président de Whaller
16 mai 2023

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Pour un DFA : Digital Fighting Act !

Nous ne pouvons que nous réjouir de toutes les initiatives prises par l’Union européenne pour reprendre la main sur son propre marché numérique. Et nous avons aujourd’hui un sujet dont nous pouvons nous féliciter à double titre, puisque  de récentes avancées en la matière se sont produites sous une présidence française de l’Union (premier trimestre 2022), avec l’avènement du DSA (Digital Services Act) et du DMA (Digital Market Act). Cependant, derrière la lettre byzantine de ces deux réglementations majeures, peu s’interrogent aujourd’hui sur les tenants qui ont amené l’Union européenne à aménager ainsi ce qu’il convient d’appeler sa propre domination.

Notre Voltaire aurait-il eu à souffrir du DSA ?

Je ne suis pas juriste ni à même de me perdre et me retrouver dans le labyrinthe de ces textes prolixes. Néanmoins, après m’être plongé dans ces deux bains de dispositions, je retiens du DSA qu’il vise à « rendre illégal en ligne ce qui est également illégal hors ligne ».

La transparence algorithmique, la lutte contre les discours de haine, contre les fakenews ou la contrefaçon que prévoit le DSA sont naturellement de bonnes choses. Qu’y trouver à y redire ? Une petite incise sur la question des fakenews, peut-être, si vous me le permettez ? Je vous invite à écouter une récente émission diffusée par France Culture dans laquelle on apprend non sans stupeur que le grand Voltaire est l’auteur d’une des fakenews les plus efficaces et les plus admises de notre Histoire, encore aujourd’hui : celle qui consista à faire croire que la platitude de la terre était de son temps un dogme religieux officiel, et ce, dans le seul but de discréditer l’institution vaticane. Observons donc la plus grande prudence avec cette dangereuse notion.

Un succès qui sera jugé à l’aune de la mise en application

Ce que je retiens du DMA, c’est qu’il prévoit de limiter, ou d’aménager la domination économique des « contrôleurs d’accès » au marché numérique communautaire, les fameux « gatekeepers », qui ne sont autres que les GAFAM. Je dirais ici que l’Europe compose avec son échec. 

Aussi, je n’ai pas l’intention de disséquer ces deux textes. D’abord parce qu’une fois encore, ça n’est pas ma spécialité. 

Et ensuite pour une raison plus importante : de l’aveu de la quasi-totalité des experts en réglementation économique, le succès du DSA et du DMA reposera presque intégralement sur sa mise en œuvre pratique, et le bon concours de tous les acteurs économiques et de la société civile. Wait and see comme disent les Anglais.

Comment sanctuariser l’existence d’un oligopole ?

J’aimerais cependant attirer l’attention sur un point qui me semble crucial : le fait même que, par une forme de sanctuarisation textuelle, l’Union européenne semble reconnaître l’existence sur son sol d’acteurs qui ont durablement endommagé les conditions d’une saine concurrence. C’est-à-dire, concrètement, empêché les conditions d’émergence de ses propres compétiteurs européens. 

Plus de 10 000 plateformes en ligne opèrent aujourd’hui sur le marché européen du numérique. Pourtant, seule une toute petite poignée d’entre elles capte l’essentiel de la valeur générée par ces activités. Serions-nous finalement en train de négocier les miettes de ce marché ?

C’est ce que les économistes désignent sous le nom d’oligopole. 

Ce qui veut dire que sur le territoire de l’Union européenne, un petit nombre d’acteurs extra-européens est parvenu à réduire un marché qui devait dans l’esprit des pères fondateurs de l’Europe être le lieu d’une concurrence pure et parfaite, à l’état d’oligopole, ni plus ni moins.  

On peut d’ailleurs lire dans la littérature bruxelloise consacrée à ces deux règlements que le DMA instaure le « contrôle des pratiques commerciales déloyales » dont se rendent coupables les « gatekeepers » 

Nous avons donc affaire à des acteurs dominants, qui abusent de leur position de manière déloyale. 

Mais le pire est sans doute la capitulation que traduit le DMA dans les termes qu’il emploie pour caractériser les « gatekeepers » : Il s’agit exclusivement des grandes plateformes : celles qui ont un “poids important sur le marché intérieur”, fournissent “un service de plateforme essentiel qui constitue un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux” et “jouissent d’une position solide et durable, dans leurs activités, ou jouiront, selon toute probabilité, d’une telle position dans un avenir proche”.

L’UE se projette donc, noir sur blanc, dans un avenir où ce sont les GAFAM qui continueront de dominer le jeu. Qu’est-ce que cette « position solide et durable » au regard d’un « avenir proche » ? Un élément permanent du décor. 

Nul ne gagne une guerre économique à coups de règlements

Une fois encore, nul ne peut rester indifférent aux efforts que déploient les pouvoirs publics communautaires et nationaux pour mettre des bâtons dans les roues des GAFAM. Même si ces derniers ont su établir de puissantes fourches caudines en dessous desquelles les autres entreprises doivent se présenter à quatre pattes. 

Mais la loi du marché, c’est le marché lui-même, sauf à reconnaitre que nous vivons aujourd’hui dans une économie dirigée. Alors, puisque les GAFAM ont à ce jour dominé notre marché, n’en changeons pas seulement les règles pour reprendre l’avantage : musclons notre proposition et comptons sur ces entraineurs obligés que sont les nations. Livrons enfin cette bataille au lieu d’en consigner les règles par écrit !

Il est inimaginable que nous puissions continuer à mener ce qu’il est convenu d’appeler une guerre économique à coup de règlements. 

Nous devons impérativement créer les conditions de notre compétitivité, et c’est sans doute là un autre sujet. Mais l’inflation normative européenne ne nous dispensera pas d’attendre, en tant qu’entreprises, les conditions favorables à notre succès, notamment par le biais de la commande publique !

Exemplarité réglementaire et profusion normative

Oui, l’Union européenne nous semble tombée dans un piège : celui de l’exemplarité réglementaire, de la profusion normative. L’UE est en train de devenir une machine à produire des acronymes : DSA, DMA, DA (Digital Act), MICA (cryptomonnaies), AIA (intelligence artificielle). Or l’UE n’est pas qu’une somme de règles applicables à tous sur un espace géographique donné. C’est aussi, espérons-le, une puissance en constitution, qui, comme les Etats-Unis, doit d’abord servir les intérêts de ses champions et protéger son marché. Nous devons adopter la lecture du néo-libéralisme – lato sensu – que pratique notre principal concurrent et allié : les Etats-Unis d’Amérique !

Qui a nourri ces géants ?

Pour conclure, j’aimerais nous inviter à décoller notre attention de ces deux textes, pour les mettre en perspective, dans une vue d’ensemble. Et nous demander s’ils s’inscrivent ou non dans une forme de cohérence économique. 

Puisque nous nous intéressons à des acteurs dominants et que nous cherchons manifestement à lutter contre leurs pratiques déloyales, les sachant à demeure chez nous pour encore un moment… Avons-nous le droit de nous poser la courageuse question de l’œuf et de la poule ? Et pouvons-nous nous demander si nous n’avons pas nous-mêmes nourri ces géants, si nous ne continuons pas à leur procurer la force que nous leur reprochons ? En voulez-vous un exemple ? Comment expliquer que les données de santé de tous les ressortissants de l’Union européenne soient raisonnablement appelées à être bientôt hébergées chez ce gatekeeper qu’est Microsoft (au sein du European Health Data Space). Pensez-vous que le DSA et le DMA auraient pu empêcher une telle forfaiture ? Puisque l’Europe aime les acronymes : mettons l’Europe en ordre de bataille économique avec un DFA : un Digital Fighting Act, cher Thierry Breton !

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THOMAS FAURE , PRESIDENT FONDATEUR WHALLER, PARTENAIRE DE L’ IDFRIGHTS

Thomas Fauré est le président-fondateur de la société Whaller, plateforme de communication et de collaboration sécurisée française. 

Engagé dans le combat pour la souveraineté numérique française, Thomas Fauré intervient régulièrement dans le débat public tant sous forme de tribunes que de conférences
publiques ou d’auditions auprès des élus ou des pouvoirs publics. Il a publié deux ouvrages, Transmettez ! (Les Editions Baudelaire, 2018) et Après Facebook, Rebâtir (Les Nouvelles Editions de Passy, 2022).

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