Delphine Ernotte-Cunci : « On nourrit pratiquement gratuitement les réseaux sociaux » – Le nouvel Économiste (10)
24 février 2022
Delphine Ernotte-Cunci : « On nourrit pratiquement gratuitement les réseaux sociaux » – Le nouvel Économiste (10)

24 février 2022

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Extraits de la série de podcast ‘Presse, Gafa, et droits voisins’, réalisée en association avec l’Institut des droits fondamentaux numériques, IDFRights.
Interview menée par Jean-Marie Cavada

 

Jean-Marie Cavada : Nouvel épisode du podcast sur les rapports entre les producteurs de contenus et les diffuseurs de plateformes. Madame Delphine Ernotte, qui est présidente de France Télévisions, est notre première invitée pour l’audiovisuel. Selon vous, quelle est l’importance du manque à gagner lorsque vos contenus sont diffusés sur des plateformes qui ne sont pas les vôtres ?

Delphine Ernotte : Question intéressante mais je ne suis pas sûre qu’il y ait un manque à gagner direct. Si France Télévisions commande et édite une série, c’est à dire accompagne le développement de l’écriture du scénario, le tournage et le montage jusqu’à la diffusion, l’œuvre n’appartient pas à l’éditeur que nous sommes. Elle appartient au producteur à qui il est loisible de la vendre pour une exposition différente. La diffusion sur des plateformes n’est donc pas un manque à gagner mais au contraire un “plus à gagner” pour les producteurs qui vient d’une certaine manière conforter la création française.


“La diffusion sur des plateformes n’est donc pas un manque à gagner mais au contraire un “plus à gagner” pour les producteurs”


Là où le bât blesse est que le crédit de tout ce travail d’édition n’est jamais donnée au premier éditeur. Pour preuve, ce qui s’est passé récemment aux Emmy Awards où Dix pour Cent a été primée. Netflix qui a racheté cette série formidable a été salué mais pas France Télévisions qui l’a pourtant éditée. En France, on se bat à juste titre pour reconnaître celui des créateurs, ce que fait le service public. Il faudrait aussi reconnaître notre rôle d’éditeur dans toutes les séries et les documentaires diffusées ensuite sur nos antennes linéaires ou digitales.


La coûteuse fabrique de l’information
J-M.C. : France Télévisions est un important diffuseur et producteur d’information. Sur ce secteur spécifique quels sont vos rapports avec les plateformes qui prennent vos contenus, les diffusent et en tirent toute la monétisation que l’on connaît ?

D.E. :  Nous sommes sur un marché de dupes. Quand je suis arrivée, nous diffusions tous nos contenus d’information sur les réseaux sociaux, notamment sur YouTube. Dans sa grande largesse, la plateforme nous octroyait une petite part totalement modeste et voire modique de la publicité qu’elle récupérait. Aujourd’hui on appelle “information” n’importe quel fait pas forcément vérifié. Le grand risque des réseaux sociaux est de proposer une opinion au même rang qu’un fait vérifié ou une vérité scientifique.
“On ne peut pas mettre sur un pied d’égalité un travail journalistique sérieux avec une opinion exprimée par un citoyen. Cela n’a pas la même valeur”
Les plateformes sociales ont énormément de vertus mais il est important de reconnaître les exigences du métiers de journaliste. Pour l’exercer correctement, il faut avoir du temps et une juste rémunération. On ne peut pas mettre sur un pied d’égalité un travail journalistique sérieux avec une opinion exprimée par un citoyen. Cela n’a pas la même valeur.

J-M.C. : L’information a un coût de production. Les équipes de reportage coûtent cher, tout comme le montage, le formatage, le fonctionnement d’une antenne. Qu’est ce que vous espérez des réseaux qui prennent vos produits d’information? Qu’est ce que vous pouvez en gagner ?

D.E. : Nous attendons une juste rétribution du travail du journaliste et de l’éditeur qui soutient et édite l’information. Je ne sais pas quel est le bon tarif ? Ça se discute, se négocie, s’apprécie pour être une juste rétribution des investissements conséquents faits dans le service public pour maintenir des rédactions de très bon niveau et donner du temps à des journalistes pour faire des enquêtes longues. Certaines enquêtes n’aboutissent pas.
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