Henri Nijdam : “La souveraineté économique de la presse française est un enjeu à 1 md d’euros” – Le nouvel Économiste (9)
20 janvier 2022
Henri Nijdam : “La souveraineté économique de la presse française est un enjeu à 1 md d’euros” – Le nouvel Économiste (9)

20 janvier 2022

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Le patron du Nouvel Economiste appelle éditeurs et distributeurs à entamer de vraies négociations tarifaires, à l’image de l’agroalimentaire avec la grande distribution

Extraits de la série de podcast ‘Presse, Gafa, et droits voisins’, réalisée en association avec l’Institut des droits fondamentaux numériques, IDFRights.
Interview menée par Jean-Marie Cavada

Jean-Marie Cavada : Dans les rapports entre la presse et les plateformes numériques, la question centrale est celle de la négociation juste, équitable et sincère permettant de répartir la richesse entre les géants de l’Internet et des fournisseurs de contenus qui ne sont pas payés à leur juste mesure. Nos précédents épisodes qui ont interrogé des éditeurs de presse, des juristes et des responsables de plateformes le prouvent. Nous recevons ici Henri Nijdam, directeur de la publication et de la rédaction du Nouvel Économiste, un homme expérimenté dans le domaine de la presse et ses circuits de fabrication et de distribution.

Première question : peut-on toujours considérer le numérique comme une opportunité formidable pour l’avenir de la presse ?

Henri Nijdam : Tout à fait, car j’appartiens à la catégorie de ceux qui pensent que le digital a sauvé la presse… après avoir failli la tuer.

L’enjeu est majeur aujourd’hui, car il est de permettre enfin à la presse de voler de ses propres ailes, de trouver un modèle économique pérenne grâce au digital. Internet qui est le tuyau, et le numérique qui est le support, ont totalement bouleversé l’industrie de la presse.

Le numérique apporte trois avantages au support papier. D’abord, il permet de recueillir, produire, éditer et diffuser en continu, et non plus dans l’attente d’une impression quotidienne ou hebdomadaire. Deuxièmement, il pousse l’information vers le lecteur à coût zéro. Troisièmement, il permet d’offrir un accès différé à des contenus bien au-delà de leur date de publication. Tout cela, le papier ne le permet pas.

“L’enjeu est majeur aujourd’hui, car il est de permettre enfin à la presse de voler de ses propres ailes, de trouver un modèle économique pérenne grâce au digital”

Du côté des perspectives maintenant. Une marque de presse peut utiliser trois formes d’expression : l’écrit, l’audio avec les podcasts, et la vidéo. Nous sortons ainsi des traditionnels silos presse, radio, télévision. Sur la diffusion, nous assistons à un bouleversement dans le temps et dans l’espace. Avec le papier, la diffusion était essentiellement hexagonale à destination de 66 millions d’habitants. Avec Internet, nous adressons les 237 millions de francophones. Par exemple, le Nouvel Économiste a 0,7 % de ses lecteurs au Vietnam et 3 % au Canada. La production d’un contenu, hors actualité pure et dure, a une valeur intemporelle. Grâce à Internet, nous avons plus d’un tiers de consultation d’articles datant de plus de trois mois.

J.-M.C. : Qu’en est-il des perspectives en matière de valorisation publicitaire ?

H.N. : Bien évidemment. Le marché mondial de la publicité est en augmentation constante depuis le début du siècle précédent. Aujourd’hui trois plateformes, Google, Facebook et Amazon, ont capté en 15 ans plus de 50 % du marché mondial de la publicité. Ils proposent aux annonceurs un modèle vertueux qui permet de communiquer efficacement à moindre coût. La presse reposait pour sa part sur un modèle de communication publicitaire avec une efficacité bien moindre pour un coût bien supérieur. Dernier élément : la notion de publicité à coût variable et au rendement.

“Hier, la presse se battait pour se partager les dépenses publicitaires des 500 principaux annonceurs français. Demain, elle servira des solutions publicitaires multiples aux 50 000 entreprises françaises qui peuvent avoir besoin d’entrer en contact avec ses communautés de lecteurs”

La force de Google est ainsi de permettre à n’importe quelle petite entreprise de communiquer avec une carte de crédit à partir de 100 euros. Le besoin de communiquer est exponentiel et les solutions sont complètement nouvelles. Hier, la presse se battait pour se partager les dépenses publicitaires des 500 principaux annonceurs français. Demain, elle servira des solutions publicitaires multiples aux 50 000 entreprises françaises qui peuvent avoir besoin d’entrer en contact avec ses communautés de lecteurs. La perspective est positive.

J.-M.C. :Nous avons parlé des perspectives de l’édition, des perspectives de la diffusion et des changements publicitaires. Quid des produits diversifiés ?

H.N. : Le digital démultiplie les sources de revenus de la presse à partir d’une même marque. Ces sources de revenus qui correspondent à des chaînes de création de valeur distinctes. Les chaînes de valeur d’une marque de presse peuvent être décomposées en quatre catégories. Première catégorie, une marque de presse produit, édite, diffuse et fait distribuer de l’information. Deuxième composante : elle fabrique des cibles et des supports, et commercialise des solutions publicitaires pour les entreprises.

“Le digital démultiplie les sources de revenus de la presse à partir d’une même marque”

Troisième élément, une marque de presse, en publiant quotidiennement de l’information de qualité, génère auprès de ses lecteurs un capital de confiance qu’elle peut exploiter. Il lui est ainsi possible d’identifier toute une série de services à proposer à des communautés identifiées, en bénéficiant notamment de sa capacité de mutualisation. Quatrième chaîne de valeur, “l’or bleu”, c’est-à-dire la véritable valeur que constituent la donnée et ses multiples exploitations.

J.-M.C. :Dans cette grande mutation et toutes les perspectives qu’elle offre, les coûts sont complètement bouleversés…

H.N. : Le digital a divisé nos chiffres d’affaires par deux, mais il a aussi divisé nos coûts par quatre. Première observation : tous les coûts industriels de pâte à papier, d’impression, de distribution physique et de retour des invendus disparaissent avec le numérique. Deuxième point, nous sommes l’une des industries les plus archaïques dans le fonctionnement de notre organisation et dans l’utilisation de la ressource humaine. Mais grâce au digital, il est maintenant possible d’aller chercher la juste compétence dans la juste quantité à l’endroit où elle est, même à l’autre bout de la planète, sans l’intégrer dans une équipe à l’année.

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